Les interviews sont souvent des grands moments de solitude ou de langue de bois, plus rarement des exemples d’humour, de courage ou de lucidité.
On peut y voir un aveuglement dû à une admiration excessive, mais aussi la volonté bien compréhensible de garder un job devant les caméras, plus gratifiant que cimentier chez Lafarge, ou équarisseur de sanglier dans un abattoir des Ardennes.
Mais je pense qu’avant tout, il y a la volonté bien compréhensible de préserver son intégrité physique alors que vous êtes à quelques centimètres de l’athlète assez peu grassouillet avec qui vous taillez la bavette.
« Lance, après cette brillante ascension du Galibier, vous pouvez dire merci à l’EPO ? », sur un podium d’un des sept Tours remporté par la fusée de l’US Postal.
« Tony, entre nous, votre adversaire sortait plus d’un bar à bière que d’une salle de boxe ? », un soir de juin 2017 au Palais des sports, après un simulacre de combat de boxe.
Ou bien passer de Yoka à Parker un soir de défaite en demi-finale de l’Euro de basket en France, « Tony, 23% de réussite au tir contre l’Espagne, c’est pas génial non? ».
Personnellement, si je devais choisir, ça serait plutôt Armstrong, et j’essayerais au maximum d’éviter les 109 kilos du champion olympique de Rio. Et si je pouvais faire pareil avec le colossal Riner le jour où il perdra aux championnats du monde… Laissons volontiers à d’autres le fameux, « Teddy, vous ne pensez pas que c’était le combat de trop ? »
Mais tout ça c’est du petit lait. De la roupie de sansonnet devant celui ou celle qui aurait le courage, ou l’inconscience, d’aller chatouiller le tabou absolu, dans le sport le plus populaire, celui qui enflamme les foules.
« Zinédine, pensiez-vous que votre magnifique jeu de tête serait si décisif dans cette finale contre l’Italie ? »
Un scénario aussi inconcevable que certainement nocif pour la santé du journaliste qui s’y risquerait.
Kylian Mbappe a beau peser 160 ou 180 patates, à ce niveau on ne compte plus, il a une bonne tête et quelque chose d’enfantin dans le regard.
S’il affole tous les compteurs et nous régale depuis quelques mois, ça fait deux ou trois matchs qu’il pédale dans la semoule.
Le classico de dimanche soir n’a fait que confirmer cette tendance automnale, après un mois de septembre où un océan de louanges a submergé l’hexagone.
Vitesse, lucidité, efficacité, avec en plus une bonne dose de sens collectif, le garçon a enquillé les buts et les passes décisives, sans parler de la naissance officielle d’une idylle footballistique avec le dieu Neymar.
Certains n’hésitent pas à invoquer le roi Pelé lui-même pour qualifier l’avenir du jeune surdoué. Surtout que contrairement à d’autres, il a une tête bien faite, pas trop enflée et sur les épaules.
Ce que j’ai vu au Vélodrome est bien éloigné de tout ça, et les deux génies m’ont plus rappelé ce qu’on peut voir dans certaines cours de récré, quand faire une passe a aussi peu de chance d’arriver qu’une baisse du déficit de la SNCF. Si leurs coéquipiers n’étaient pas également des millionnaires en culotte courte, on aurait surement vécu le drame que subit au quotidien tout professeur d’EPS :
- Ben, pourquoi tu t’arrêtes de jouer ?
- J’en ai marre Monsieur, j’ai jamais la balle.
- Essaye de te démarquer.
- Toute façon, ils sont trop perso !
On reviendra plus tard sur ce qui s’est passé après le match, mais côté parisien, je n’ai pas vu une once de force ni d’organisation collective en attaque, mais plutôt deux garnements à qui on donne la balle et qui cherchent à faire la différence. Et mis à part une fois au fond des filets pour le prodige brésilien, on a rarement vu la balle revenir dans les pieds de leurs coéquipiers.
Le pauvre Cavani, le matador Urugayen, doit attendre la 93e minute pour tâter le cuir du ballon et envoyer un missile sous la barre de Mandanda. Avant ça, on dirait que les deux compères avaient décidé de ne jamais lui donner.
Il est difficile de flamber à chaque match, mais c’était le premier gros test de la saison pour une équipe qui n’a pas cassé sa grosse tirelire pour ne gagner que la coupe de la ligue. Le but de Neymar est splendide, mais la copie rendue par les parisiens est très moyenne sur le plan football.
Après l’histoire du pénalty qui avait marqué les esprits, la nervosité des deux transférés record de l’été a été palpable. Carton rouge pour l’un, qui s’est fait chambrer et chatouiller les tibias pendant tout le match et qui a craqué comme un U16 en déplacement au stade Huvier de Noisy le sec.
L’autre n’a écopé que d’une biscotte jaune, mais la façon dont il a secoué l’arbitre après une main non sifflée en aurait mérité une plus rouge.
Certains louent le courage d’un gamin de 18 ans, quand d’autres ne comprennent pas bien le silence de joueurs ou de dirigeants plus expérimentés qui se cachent.
Mon propos n’est pas d’analyser la justesse des propos de Kylian Mbappe, quand il nous explique que les arbitres devraient se mettre au niveau des grands joueurs qui sont arrivés en Ligue1.
Je me permettrais juste de dire que si « même les équipes de bas de tableau sont beaucoup meilleures », il faudrait malgré tout relever le niveau des cours de Français dans les centres de formation.
Par contre, ce qui est incroyable, c’est la passivité du journaliste de Canal qui gobe ce discours sans réagir, et qui reste muet.
- L’arbitre n’a pas vu la main, mais aujourd’hui, t’as joué comme une buse. Et en plus, tu t’es comporté comme un gosse mal élevé.
Imaginons une telle réaction, je pense que la chaine cryptée n’aurait pas tardé à le suspendre d’antenne, et à lui trouver une place au chaud près de la photocopieuse.
C’est surement l’exercice particulier de l’interview qui pousse à ça et à une telle langue de bois.
De nos jours, et à part le Président de la République, les hommes politiques n’ont plus ce privilège. L’ORTF avec Alain Peyrefitte comme ministre de l’information sont une époque bénie et révolue pour ceux qui aujourd’hui viennent se faire chahuter sur les plateaux télé.
Une sorte de fronde médiatique au-delà des émissions d’humour, et qui prouve en tout cas que le respect pour la fonction n’est plus ce qu’il était.
C’est surement plus facile de vanner dans des talk-shows ou des émissions dans lesquelles des consultants analysent les choses, sans prendre les pincettes que la présence des joueurs impose.
C’est dommage, mais une idée me vient.
Pourquoi ne ferions-nous pas appel au champion de France toutes catégories des intervieweurs matinaux ?
Jean-Jacques Bourdin.
Celui qui jadis brisa la carrière de la pauvre Myriam El Khomri et de tant d’autres, et qui ne tremblerait pas au moment de poser des questions qui fâchent à ceux qui taquinent la baballe.
Et ce matin avec Eric Cantona…
- Bonjour Eric, vous n’avez aucun talent, ne pensez-vous pas devoir votre carrière d’acteur à votre notoriété de footballeur ?
Ou alors, c’est pour Thierry Ardisson…