Janine Pichon est une fringante retraitée.
Son cher époux, a la hanche qui couine, alors la plupart du temps, c’est elle qui fait les courses.
Ça lui permet de garder une taille décente, jadis de guêpe. Maurice apprécie, lui qui n’a rien contre un coup de tromblon de temps en temps…
Et puis elle est bavarde la Janine, et il faut dire que sa moitié est plutôt du genre taiseux. Alors elle arpente les trottoirs de Pontault-Combault, sans lésiner sur ces rencontres, qui sont autant de petits moments de bonheur :
- Bonjour Mme Garnier, ça va ce matin ?
- Ah m’en parlez-pas Mme Pichon !
- Qu’est-ce qui vous arrive ?
- Mon arthrose, ma tension, mon cholestérol, …
- C’est sûr qu’avec ce temps !
- Ce matin, il faisait -2 sur le balcon.
- Et ce satané virus qui circule…
- Et vous avez vu tous ces migrants ?
- Il faut de tout pour faire un monde.
- Chacun voit midi à sa porte.
- Je file, il est bientôt 10 heures.
- Allez, bonne journée.
- A demain.
C’est ce qu’on appelle le lien social. Très important pour que nos anciens se préservent de la démence sénile qui les guette. Après avoir acheté le journal et une livre de bœuf bourguignon, elle termine son périple quotidien par la boulangerie.
Les Pichon sont des gourmands qui ne crachent pas sur une petite douceur au dessert.
- Bonjour Madame.
- Bonjour, vous allez bien.
- Pas trop mal.
- Et vous ?
- Ah, m’en parlez pas, avec ce froid !
- Et puis surtout, c’est humide.
- Qu’est-ce que je vous sers ?
- Une baguette bien blanche.
- Vous ne prendrez pas une pâtisserie aujourd’hui ?
- Si bien sûr, mettez-moi donc un baba au rhum.
- Ça sera tout ?
- Non, j’hésite un peu, entre le flan et …
Autant dire que la file de clients s’allonge, et que ces braves citoyens ne sont pas tous fascinés par un dialogue aussi passionnant.
Et puis malgré les apparences, Pontault-Combault est en région parisienne, qui comme chacun le sait est le royaume de l’impatience.
Les soupirs vont finir par se transformer en émeute, quand Janine, dans un ultime effort, se décide enfin.
- Une tête de nègre s’il vous plait.
Ceux qui attendent sont rassurés, la retraitée a fait son choix et dans peu de temps, ils pourront planter leurs crocs dans ces baguettes chaudes qui embaument la boutique.
Tous sauf, une.
Fatoumata Diallo n’est ni une blédienne, ni une activiste indigéniste.
C’est juste une française dont les grands-parents viennent de loin.
Le mot « nègre » n’est pas celui qu’elle préfère dans la langue de Molière, et quand elle l’entend, son sang ne fait qu’un tour :
- Pardon, je n’ai pas bien compris, vous avez dit quoi ?
Michèle a beau exhiber ses miches à longueur de journée, c’est une fine psychologue qui comprend assez vite ce qui se passe :
- Madame veut juste un baba au rhum et une meringue au chocolat.
- C’est curieux, ce n’est pas ce que j’ai entendu !
Janine, malgré la forme olympique qu’elle tient, est un peu dure de la feuille :
- Qu’est-ce qui se passe ?
- Rien, ne vous inquiétez pas.
- Quoi, vous n’avez plus de tête de nègre ?
- Vous êtes, sérieuse !
- C’est pas bien grave, s’il n’y en a plus, je prendrai un flan.
- Espèce de raciste !
- Oui, vous avez raison, ils ont l’air bons aussi.
Le ton monte et les esprits s’échauffent dans l’échoppe.
Les noms d’oiseau fusent et derrière son comptoir, la boulangère prend peur : elle appelle la police à la rescousse.
Quand la maréchaussée débarque, on n’est pas loin du pugilat.
Avec le discernement qui les caractérise, les fonctionnaires sortent leur matraque et se mettent à assaisonner… la pauvre Fatoumata.
Un arbitre de foot roumain a plus de chance de rencontrer Neymar et Mbappé au Parc des Princes que Fatou dans une boulangerie de banlieue.
C'est quand-même moins dangereux que de croiser la route de Janine, la tortionnaire de Pontault-Combault.
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