Roger aux abonnés absents, il décide d’appeler sa fille. Après-tout, il lui a donné tellement d’argent de poche que cette ingrate lui doit bien un menu service !
- Tu peux me dépanner, je suis en rade sur la 104 ?
- Je serais bien venue, mais je n’ai plus d’essence. Appelle ton assurance, ils enverront quelqu’un.
- Ok ….
Là-encore, il crache au bassinet depuis tant d’années. Après avoir tout noté, l'opératrice le transfère vers l’assistance. Autant appeler le 15 en plein COVID, la pimbêche de service le remet en attente pendant 45 minutes. Quand ça décroche enfin, il a perdu tout sens de l’humour.
- Les opérations de dépannage sont temporairement suspendues.
- Mais ça fait une plombe que j’attends sur le bord de la route !
- Les opérations de dépannage sont temporairement suspendues.
- C’est bon j’ai compris ! Que se passe-t-il ?
- Nous n’avons plus de véhicules disponibles.
- Et comment ça se fait ?
- Beaucoup sont en panne d’essence.
- Et les autres ?
- Ils sont en route pour les dépanner…
- Et je fais quoi, des merguez ?
- Pourquoi pas, il y a sans doute un rond-point dans le secteur.
- Pensez-vous que Francis Lalanne soit disponible ?
- Qui est ce Monsieur ?
- Ignare !
- Pardon ?
- Il est tard.
- Oui je sais, rappelez dans une heure.
La nuit est tombée depuis un moment, la pluie s’est invitée au bal. Pas un petit crachin mais une pluie qui tombe dru, vous ruisselle sur le crâne et vous glace les os ! Maurice rentre dans sa voiture, se met le chauffage et tue le temps au téléphone. Personne ne répond : Jeanine prend son cours de tantrisme à la salle des fêtes François Valéry, en général elle met un peu de temps à sortir des vestiaires. Quant à Roger, une carpe serait plus bavarde.
Heureusement, il a deux messages et trois likes sur Le Bon Coin, pour son annonce de ventilateur à pédales, très utile en ces temps de pénurie énergétique. Depuis qu’il a laissé son téléphone à clapet, Maurice a fait son entrée dans le XXIe siècle. Un post sur Facebook, un mail et un ptit tour sur Pornhub, il se dit fièrement que malgré les années, il reste prompt à se mettre en branle. Au moment précis où une idée saugrenue allait traverser son esprit émoustillé, son smartphone se met à vibrer.
- Roger ?
- Qu’est-ce qui se passe, j’ai 27 appels en absence !
- T’es où ?
- J’te l’ai dit ce matin, j’ai décidé de me reprendre en main. Je me suis inscrit au Yoga.
- A la salle des fêtes ?
- Heu … oui, comment tu le sais ?
- Ben, tu as dû voir Jeanine !
- Heu …
Son meilleur ami n’a pas le temps de finir sa phrase, son Samsung lui fait le coup de l’écran noir. Le geek a tout prévu, le chargeur, la prise allume-cigare… Un tour de clé, il pourra redonner une barre ou deux à sa batterie. Malheureusement, celle de la Xantia n’est plus toute jeune, impossible de remettre le contact !
Son moral et ses batteries complètement à plat, Maurice n’a qu'une seule alternative : l’action ou le suicide. Pas facile de se jeter sous les roues d’une voiture qui avance au pas, à moins de rechercher la souffrance d’une mort aussi atroce que lente. Il faudrait être complètement maso pour supporter le passage d’une cinquantaine de véhicules. Ca serait comme tenter de se noyer dans une flaque d'eau. Alors, il va devoir sortir, affronter la nuit froide et pluvieuse puis marcher jusqu’à la station avec son jerrican. Il lui faudra revenir et espérer qu’une âme charitable l’aide à redémarrer, en poussant ou avec des câbles …
La station est à un bon kilomètre. L’humidité ayant réveillé son arthrose, il évalue la durée de sa marche à une dizaine de minute. Dès le premier mètre, il se rend compte d’une chose qu’il n’avait pas envisagé : il va doubler des voitures qui comme lui, poireautent depuis plus de deux heures. Insultes, quolibets, klaxon et même crachats, son petit périple est un véritable chemin de croix. Heureusement, la pluie purificatrice nettoie les mollards qui dégoulinent sur le Jésus du 7.7. pour cible. Au bout d’un moment, il avance machinalement sans rien voir ni entendre. Il remonte péniblement la file sans tenir compte de l’hostilité ambiante.
Soudain, une enseigne lumineuse lui confirme que la terre promise se rapproche. Il lui suffira de s’insérer discrètement dans la file à quelques mètres de la pompe ou mieux, surgir de nulle part au moment où le gars raccrochera le pistolet. Il contourne la station, longe le bâtiment, se rapproche le plus près possible et attend, comme un fauve prêt à bondir sur sa proie.
Une Mercedes, une grosse bécane, un Ford Transit puis une BM, tout cela lui semble bien risqué. Une Sandero suivi d’une Kangoo, c’est l’occasion rêvée. Il fait le tour à quatre pattes de la Dacia, patiente un peu et au moment opportun, surgit entre les deux voitures.
Surprise !
D’un coup, la mémoire lui revient. Il reconnait au même moment la Renault et son musculeux conducteur, celui-là même qui lui a offert un tour gratuit. Après quatre heures d’attente, le pauvre bougre est légèrement sur les nerfs. Les 115 kilos derrière son gros poing ne sont pas de la gonflette. Le nez de Maurice l’accueille chaleureusement avant de partir au pays des songes.
Le feu crépite dans la cheminée, il a chaud, il est torse-nu allongé sur une peau de bête. Une infirmière nue sous sa blouse s’apprête à finir de le dénuder. Tout irait pour le mieux s’il n’avait pas entre-aperçu sa femme en petite tenue dans la pièce à côté.
- Jeanine, Jeanine … !
Il crie mais personne ne l’entend.
Sa femme est sur le point de commettre le pire avec cet homme qui lui caresse les cheveux. La silhouette est familière, il peine à reconnaître ce visage derrière son masque libertin. Mais sa silhouette est familière, cette gourmette, ces gros doigts boudinés, cette chevalière, ce maillot de Neymar …
- Putain, Roger !!!
- Heu, je s’appelle Youssef.
- Salope !!!
- Calmez-vous, vous pissez le sang. J’ai appelé les pompiers, mais ils n’ont plus d’essence.
- De l’essence … mon jerrican … il en reste ?
- Tout est vide. J’ai fermé la boutique il n'y a pas deux minutes ...
Comments