Acheter une Modus 6700 € et la revendre 4200, deux ans et 27000 km plus tard, est ce qu’on appelle une bonne affaire.
Refourguer le splendide lampadaire halogène offert par vos beaux-parents, à 35 € sur Le Bon Coin, peut tenir du miracle inattendu. Mieux, le moindre quidam peut espérer faire un jour une plus-value de 90 000 € en lâchant à regret son F2 à Pontault-Combault ; avec balcon et cuisine aménagée.
Mais là, on est dans la roupie de sansonnet.
Ouvrez votre porte-monnaie, sortez-en 6 pièces d’un franc, ça veut dire qu’on est au XXe siècle. Une personne normale hésiterait entre boire une bonne bière ou s’offrir un Big Mac. Un choix certes cornélien mais qui ne mobilise que quelques neurones de votre cerveau primaire.
Mais c’est bien connu, Nanard n’est pas une fiotte.
Dans les années 80, avec ses 6 balles, le gars s’est payé 6 entreprises : Terraillon, Look, La Vie Claire, Testut, Wonder et Donnay.
Jusque-là pourquoi pas, on parle de boites en liquidation rachetée chacune pour un franc symbolique !
Mais là où le titi du XXe arrondissement est trop fort, c’est qu’il en a tiré un milliard, en les cédant quelques temps plus tard : plus lucratif que le loto, même en gagnant plusieurs fois le gros lot.
Il faut dire que le désormais businessman avait commencé pied au plancher.
Diplôme de technicien en poche et service militaire effectué, il tente une carrière de comédien sous le nom de Bernard Pascal, puis de chanteur sous celui de Bernard Tapy.
Quand certains rêvent d’un job à la mairie, lui se refuse à mettre ses noisettes à la caisse d’épargne. Proprio d’un magasin de télé et d’une entreprise d’ambulances, le jeune Tapie fera une première fois connaissance avec un tribunal, écopant au passage d’un an avec sursis pour publicité mensongère.
A 40 ans, ce fils d’un ouvrier ajusteur et d’une aide-soignante a déjà vécu tellement de choses et brassé tant d’affaires…
Nanard n’est pas né avec une cuiller en argent dans la bouche, c’est un homme du peuple, un self-made-man à la française.
Mais le pire dans cette histoire, c’est que la machine va encore s’emballer à la fin des années 80,
Une équipe cycliste, un club de foot, un trois-mâts, une émission de télé, des écoles de commerce et Adidas, rien ne l’arrête.
Ambitieux, grande-gueule, charismatique et border line, il séduit autant qu’il agace. Il apprend vite, joue au bulldozer et transforme tout ce qu’il touche en métal précieux. Il tutoie les étoiles, enquille les victoires, et …les dépôts de bilan.
Ce gars est capable de dire au « Blaireau » ce qu’il doit faire, de virer le « Kaiser » et « Eric the King » comme des malpropres, et même de donner les consignes d’avant match aux vestiaires.
Plus tard, il lui arrivera de dire quoi faire à ses avocats ou de prendre la parole à leur place en plein procès. Comme quand il disait à « Raymond la science » quelle équipe aligner.
C’est lui qui paye et ses employés le savent.
Ses discours d’avant-match vous retournaient le cerveau et vous faisaient grimper aux rideaux. Son obsession de la victoire est telle qu’il met toutes les chances de son côté pour parvenir à ses fins.
Toutes…
Il devient une idole, le symbole de ces années fric.
Le bras armé d’un capitalisme sauvage qui a traversé l’Atlantique qui désosse des entreprises pour mieux en revendre les morceaux.
Pas vraiment une valeur de gauche, à l’époque du « Programme Commun » où le PC flirte avec les 20%.
Comme tous ceux qui comptent, il finit par décrocher sa marionnette aux « Guignols », remarquable par le diamètre de ses roubignoles.
La politique.
Sa 1000e vie après la 999e.
Député français, européen, conseiller général, le Wonder boy séduit Mitterrand, qui cherche du sang neuf après 1988.
Le nouveau ministre de la ville fait des dizaines de propositions, met les mains dans le cambouis et arpente les quartiers avec un mégaphone.
Dès son premier Conseil des ministres, il prend la parole pendant vingt minutes, achevant de fasciner le Président ; et accessoirement, de se faire quelques bons amis au PS.
Nul ne sait vraiment où aurait pu s’arrêter sa trajectoire sans les quelques casseroles qui font un peu de bruit dans les prétoires.
1000 vies, chacun peut aller chercher ce qu’il veut chez lui.
En 89, il accepte d’entrer dans l’octogone pour affronter Le Pen lors d’un débat télévisé que tous les hommes politiques ont déserté. Il faut dire que le vieux borgne est un sacré bretteur qui ce jour-là, va trouver à qui parler !
« Grotesque », « pitre », « matamore », le capitaine Haddock d’opérette ne lésine pas sur les insultes.
La réponse fuse : « Ce n’est pas parce que vous êtes une grande gueule que ce que vous dites est vrai » !
Devenu radical de gauche, l’ancien gobeur d’entreprise fait de la lutte contre le FN un combat de boxe.
Alors que les politiques caressent dans le sens du poil des électeurs qui deviennent légions, fidèle à lui-même, Nanard ne fait pas dans la dentelle.
« Si l’on juge que Le Pen est un salaud, alors ceux qui votent pour lui sont aussi des salauds ».
Son combat contre la maladie a été dantesque et magnifique.
Sa mille et unième vie.
La dernière.
L’heure est au plus recueillement qu’aux règlements de compte posthumes, ou pire, aux louanges tardives.
Un peu de pudeur s’il vous plait, il parait qu’il n’en manquait pas !
Comme pour Bebel il y a peu, des flots de crétins indécents ont tenté de prendre la lumière en rappelant des anecdotes les mettant en scène avec lui.
Sa lumière.
Le principe de précaution érigé en religion n’était pas sa came.
Sarkozy aura le droit à un petit bracelet dans cinq ans après un appel et une cassation. Nanard lui, a fait six mois à la Santé pour quelques liasses enterrées dans un jardin.
Cet homme était multiple, chacun d’entre nous peut trouver un exemple à suivre dans l’une de ces vies.
Ou à ne pas suivre…
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