30 Novembre à 14H45, à 600 milles au sud-ouest du Cap, Kevin Escoffier fend la houle à 50 à l’heure !
Moins vite que Gérard Lambert avec son Peugeot 103, qui remontait poignée en coin, l’avenue Charles Rouxel de Pontault-Combault.
Mais quand-même !
Tabarly, Pajot
Kersauson et Riguidel
Naviguent pas sur des cageots
Ni sur des poubelles
D’ailleurs, le proprio de PRB, lui a donné un peu d’argent de poche pour barrer son joujou, un 60 pieds IMOCA. Une broutille d’à peine cinq patates. On connait la douceur des Alizés, mais une fois passé le Cap de Bonne-Espérance, on entre dans les 40e Rugissants, un vent fort qu’aucune terre ne ralentit, et qui vous embarque vers l’est comme un fétu de paille.
Difficile d’imaginer ce que l’on peut ressentir dans une telle lessiveuse, même pour qui a pu faire de l’Optimist sur le lac de Créteil.
L’océan n’a de pacifique que le nom.
C’est un géant d’humeur changeante, qui peut vous bercer pendant la sieste, mais aussi vous rappeler que l’homme est parfois peu de chose.
Tant de grands marins ne sont plus là pour en témoigner.
Où es-tu Manu Manureva ?
Portée disparue, Manureva
Des jours et des jours tu dérivas
Mais jamais, jamais tu n'arrivas
Là-bas
La course au large est plus qu’un simple sport.
Entre odyssée et tragédie, les skippers sont des héros de légende.
Tabarly qui sort du brouillard pour gagner la Transat, Alain Colas errant encore dans les glaces de l’Alaska, Florence Arthaud, « la petite fiancée de l’Atlantique » ...
A 14H46, Kevin entend un grand craquement, son vaisseau de carbone se plie en deux au niveau du mât. Avec 30 nœuds de vent et des creux de cinq mètres, il ne faut pas traîner : le bateau coule, comme l’abeille, il entre dans le cockpit et enfile sa combinaison de survie. Le radeau avant est déjà trop profond, avec son couteau, il réussit à décrocher le radeau arrière, sous l’eau mais plus accessible. Une déferlante emporte PRB, le voilà sur son frêle esquif, à la merci des vagues terrifiantes de l’atlantique sud.
On connait la suite.
Après le déclenchement de la balise de détresse, Jean Le Cam est dérouté sur zone.
Il le repère en fin d’après-midi, mais ne parvient à le transborder qu’à deux heures du matin : une demi-journée dans un radeau de survie, avec le moral dans les docksides !
L’histoire est belle.
Un homme s’entraîne depuis deux ans pour le Vendée Globe, fait construire un bateau de plusieurs millions et mobilise une équipe de spécialistes pendant des mois.
Tous tournés vers un seul objectif, le tour du monde en solitaire.
Et en trois secondes, crac !
Tout s’écroule, il est dérouté pour secourir un gars qui boit une tasse d’eau salée.
Avec la formule 1, c’est certainement le sport le plus exigeant et le plus pointu technologiquement. Un sport où tout est étudié jusqu’au moindre détail.
A-t-on déjà vu Anquetil attendre Poulidor qui avait une fringale dans le Galibier, ou Usain Bolt faire demi-tour en finale des JO ?
Imaginons le Dieu Diego qui s’arrête après avoir dribblé huit anglais au Mexique en 86, juste pour s’occuper du joueur qui s’était tordu la cheville ?
Impossible.
La course au large est une tragédie qui met en scène des êtres humains au destin fabuleux, confrontés à la gloire, à la vie et à la mort.
Mais là, en plus, l’ironie du sort va mettre son grain de sel.
Le 6 janvier 2009, Jeannot se balade dans les mers du sud, déjà sur le Vendée Globe. Il chavire à 200 milles au large d’un cap encore plus fameux , le Horn.
Vincent Riou est dérouté et arrive sur zone à 15H21.
Le Cam est bien vivant, mais bloqué à l’avant de son bateau retourné.
30 nœuds, des creux de 5m, ça ne vous rappelle rien ?
Il lui faudra cinq longues heures pour sortir par l’arrière et monter sur le monocoque de son sauveur.
Chaque course est l’odyssées d’une mythologie, celle d’Ulysse et de Magellan. De Christophe Colomb, Vasco de Gama et de Barbe-Noire…
Celle des grands marins.
Cette histoire est plus que fabuleuse, elle est biblique.
11 ans après avoir été sauvé des eaux, un marin en fait de même avec un autre.
Bien plus qu’une victoire, une rédemption.
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