Juillet 77.
Du soleil plein la Touraine, une cassette de Simon & Garfunkel coincée dans le magnéto… tout semble réuni pour qu’un ado maigrichon s’astique le manche entre deux visites de châteaux.
Mais le gazon du majestueux All England Club illumine la petite lucarne. Depuis plus de deux ans, un hippie blond à bandeau révolutionne le jeu avec son grand lift et ses jambes de feu. En 5 sets, Vitas Gerulaitis en demie puis Jimmy Connors en finale subiront les invraisemblables passings court-croisés du Suédois. Un régal, une révolution qui dévaste un cœur d’artichaut pré-pubère.
Ice Borg enquillera 6 Roland et 5 Wimbledon. Deux finales grandioses contre Tanner en 79 et McEnroe en 80 : Borg dans les cordes, qui plie sous les slices de gaucher, qui sort du champ des caméras … mais à chaque fois, la balle jaune revient miraculeusement dans le carré vert en plongeant derrière le filet.
L’US Open restera à jamais une amante interdite. 4 nuits de souffrance pour 4 finales américaines, de cuisants souvenirs n’ont pas le pouvoir d’entacher la pureté d’un premier amour… qui dure toujours.
Le poète est un rêveur indécrottable et le jouvenceau boutonneux un bonimenteur capable de tout pour tremper sa nouille. Et puis Pistol Pete est arrivé. Avec ses épaules rentrées et son sourire un peu niais, Sampras a débarqué sur les courts une décennie plus tard. 10 ans de deuil amoureux, le délai est honnête pour l’ado devenu un adulte responsable. Non seulement son service et sa volées étaient magiques, mais l’Américain pouvait rivaliser du fond avec les meilleurs. Petros n’est pas un extraverti, mais comme Bjorn, sa froideur apparente lui permet d’engranger 14 majeurs. Allergique à la terre battue, il ne soulèvera jamais la Coupe des Mousquetaires… En 2001, après 7 victoires en 8 ans, un éphèbe suisse de 19 ans suisse a le toupet de le battre en 5 sets dans son jardin londonien. C’est le début de la fin : il se fera un dernier US en 2002 et jettera l’éponge en 2003.
Devenu père de famille, notre tourtereau cathodique franchit la ligne blanche. Son cœur avait sincèrement saigné quand un jeune insolent avait défait son Grec préféré. Mais l’amour a ses raisons que la raison ignore, son palpitant battra désormais pour Federer.
Il faut dire que Roger c’est la grande classe.
Un port de tête altier, une technique sans faille, tous les coups sortent de sa raquette. Après Pelé, Ali et Jordan, le tennis s’est trouvé un génie, seul sur terre à parfois tutoyer le divin… et premier joueur à atteindre les 20 majeurs !
Malheureusement, un Espagnol viendra lui confisquer Roland en pilonnant son revers chopé, avant qu’un Serbe ne règne sans partage sur le monde. Il y a une morale en ce bas monde : notre cher quadra a payé son infidélité en souffrant mille maux durant les finales légendaires remportées par Rafa et Nole.
La retraite se profile et on se pense enfin affranchi des tourments de l’amour. Mais c’est bien connu, les Ehpad sont des clapiers où nos seniors ne font pas que jouer au loto.
Débarqué de nulle part, Carlos est entré dans sa vie. Le master Next Gen est une blague que le Murcien s’adjuge en 2021, montrant qu’on peut servir au-delà des 220 en ne mesurant qu’1m80 (comme Borg). Puis les choses s’accélèrent en 2022 avec un premier master 1000, un premier Grand Chelem et une place de N°1 mondial en fin de saison.
Jeune, large d’épaule et pas épargné par l’acné, Alcaraz se signale de prime abord par un coup droit survitaminé, des amorties dévastatrices et une capacité unique à remettre des balles perdues pour n’importe quel autre être humain. Si on creuse un peu, on trouve un gros revers, un slice magnifique et un petit jeu invraisemblable. Quant à sa volée, pas sûr qu’il ait grand-chose à envier à McEnroe, Rafter ou Edberg !
Une créature dont le concepteur serait allé cherché ce qu’il a de mieux chez tous les autres ? Non, un ptit gars qui distille du bonheur partout où il passe. Quelqu’un qui envoie un message tellement positif :
- Même pas mal, je souffre en souriant, je cherche une solution et je la trouve.
Le contraire d’un discours plaintif et victimaire.
A l’image de son Wimbledon 2024 : au 2e tour, il passe de justesse contre un Tiafoe diabolique qui mène 2-1, tie-break à suivre ; un set perdu en 8e, quart et demie, avant de livrer une copie parfaite contre Sa Majesté Djoko.
Roger était un génie, Carlos est un orchestre symphonique à lui tout seul, avec un virtuose derrière chaque instrument. Hormis un léger relâchement en fin de 3e, sa partition a tutoyé les étoiles. Chacun de ses coups est un chef-d’œuvre, avec une mention spéciale pour deux ou trois demi-volées tout droit descendues du cosmos…
Mieux vaut tard que jamais, je connais quelqu’un qui souhaiterait bien mettre un terme à sa vie amoureuse en étant fidèle.
- Carlos, je t’aime… pour toujours.
Un serment murmuré,
Un serment bafoué ?
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