Dring !
- Allô Simone ?
- Ah Maurice !
- Alors, ce carrelage ?
- C’est parfait merci, pense à m’envoyer la facture.
- Oh Simone, si tu veux…
- N’y pense pas vieux cochon !
Maurice est un solide quinquagénaire, de ces artisans à l’ancienne capables de vous refaire la maison du sol au plafond.
Simone est vendeuse au rayon charcuterie du Super U de Pontault-Combault. C’est d’ailleurs là qu’ils ont fait connaissance : elle a été très impressionnée par les quatorze kilos de chipos qu’il lui a commandés. Et lui subjugué par ces mains potelées qui maniaient la cochonaille avec autant de dextérité !
- Ouah, quel appétit !
- C’est pour un barbecue, les 75 ans de ma belle-mère.
- Ça risque pas de faire un peu trop ?
- Non, c’est peut-être son dernier anniversaire, alors on voit les choses en grand !
- Et, vous avez prévu des légumes ?
- Je ne sais pas, on verra. Bon, je vous laisse, je vais m’occuper des boissons.
- Je crois qu’il y a une promo sur le cubi de rosé. Ça vous coûtera 9 € 95 au lieu de 13 !
- C’est parfait, je vais en prendre une dizaine.
Cette saynète pourrait tout aussi bien être fictive, voire s’être déroulée au Franprix de Vierzon ou d’ailleurs.
Dring !
- Ah Alain ! C’est fou, j’étais en train d’essayer tes lunettes.
- C’est justement pour ça que je t’appelais : comment ça se passe ?
- Avec ces nouveaux verres progressifs, je vois bien de près, je vois bien de loin, c’est vraiment parfait !
- Ah ben c’est parfait, en plus avec Tchin-Tchin, on en a une deuxième paire pour 1 € de plus.
Et là, on franchit un cap !
Si la femme qui répond au téléphone ne porte pas toujours de culotte, elle a sans doute déroulé plus de câble que Simone de saucisse de Toulouse. Et puis elle a un accent, c’est sûr qu’elle n’est pas d’ici !
Si Maurice semblait émoustillé par la charcutière, Alain reste de marbre devant cette belle étrangère. Une seule chose l’intéresse : vendre des lunettes !
C’est précisément ce qui fait la différence entre un artisan et un multimillionnaire.
Imaginez-vous pâtissier chez Paul.
A peine élue, Miss Univers vient faire ses courses à Carrefour. Comme elle a un petit creux, elle s’arrête chez vous et commande une formule à 8 € 50, avec boisson et dessert.
- Et comme dessert, qu’est-ce que ça sera ma p’tite dame ?
- J’hésite entre votre gland ou votre Paris-Brest...
- Essayez donc le gland !
Eh oui, c’est précisément le problème !
Vous n’avez pas résisté une seconde à la tentation.
A votre place, Alain aurait dit :
- Pour 1 € de plus, je te mets les deux !
C’est ainsi, Alain tutoie les belles femmes. Et il change tous les trois mois de Mercedes.
Il faut savoir ce que l’on veut dans la vie, mettre des coups de cannes ou s’acheter des belles bagnoles !
Et puis Alain a du flair, lui…
Un vieux loup de mer défie les 40e rugissants à la barre de son beau bateau.
- Sur ce voilier, on a quasiment tout en double : deux canots de sauvetage, deux balises de détresse et deux radars.
Soudain, une déesse océane, qui pourrait être sa petite-fille, surgit de nulle part.
- Oui, et deux paires de prothèses auditives.
- Oui c’est vrai, comme ça je suis sûr d’être bien équipé et d’entendre le moindre bruit.
La scène est torride. A tel point qu’on s’attend à entendre cette beauté aquatique lui répondre qu’elle est excitée de le savoir si bien équipé ! Puis lui, rétorquer que c’est pour mieux l’entendre lui crier son plaisir…
Et là, miracle, son téléphone sonne alors qu’il est perdu à 1200 bornes des premières côtes.
Dring !
- Alors Philippe, comment ça va vos appareils auditifs ?
- Parfait Alain.
Putain, encore Alain !
Décidément ce gars ne lâche rien !
Non seulement, il file un sonotone au vieillard, mais en plus, il demande à une jeune femme magnifique de l’accompagner dans ses croisières australes.
Mais le pire dans l’histoire n’est pas la petite boite de pilules bleues qu’il lui glisse dans la poche, mais la deuxième paire de prothèses auditives qu’il lui offre !
C’est cadeau, gratos !
Encore moins chères que les lunettes, qui pourtant ne l’étaient pas trop.
Sacré Alain, comme il en avait marre des Mercos, il est passé chez Porsche.
En 2028, Alain soufflera ses 80 printemps, beaucoup trop jeune pour prendre sa retraite. Seule concession, il passera chez Bentley, les Allemandes sont un peu raides pour son vieux dos.
Mais pour assurer ce train de vie automobile, il a dû se poser la bonne question : que vendre à des millions de Français après leur avoir fourgué toutes sortes de prothèses ?
Dring !
Dring !
Dring !
- Ah Michel-Edouard !
- Non, c’est Alain.
- Bonjour Bernard.
- C’est Alain j’te dis, tu es sourd ?
- Non j’ai mes lunettes, et grâce à mes prothèses, j’ai vu ton nom sur mon écran.
- Et c’est tout ce que tu as à me dire ?
- Heu non, depuis que l’on se connait, je dois bien en avoir quatorze paires de chaque !
- Dis-moi Jean-Paul, ça va ?
- Tu te rappelles, les premiers binocles, c’était sur le tournage de Borsalino je crois.
- Jean-Paul, je ne t’ai pas lâché quinze patates pour écouter tes souvenirs !
- Alain n'en voulait pas, quel prétentieux ! Moi je t'ai dit oui tout de suite.
- Eh, tu connais ton texte ?
- C’est un peu gênant !
- Comment ça gênant ?
- Ben cette histoire de couche antifuites : je suis quand même une légende du 7e Art !
- Ecoute Jean-Paul, ne fais pas ta mijaurée, moi aussi j’en porte : pas question de tacher les sièges en croco de ma Bentley !
- Oui, mais…
- Et pour 1 € de plus, on a 16 rouleaux de papier toilette double épaisseur !
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