- Fabienne, je pars promener Nougat.
- Mais Marcel, tu es déjà sorti faire des courses !
- Ne t’en fais pas maman, j’ai recopié l’attestation.
- Mais quel rebelle !
La queue de Nougat frétille plus que celle de son maître. Il faut dire qu’avec ce confinement, Fabienne est plus souvent en robe de chambre Moltonel qu’en porte-jarretelles.
La Rochette est une charmante bourgade de Seine -et-Marne.
D’un côté Melun, sa gare, sa magnifique cité administrative et surtout, son camping.
De l’autre la forêt de Fontainebleau, remarquable par ses rochers, ses essences multiples et la diversité de ses paysages.
Ce satané cabot tire comme une mule, et perdu dans ses pensées de retraité sans histoire, Roger se laisse guider par son meilleur ami.
Dix minutes plus tard, il atteint la lisière. L’automne est bien là, la forêt s’est parée de mille couleurs, bientôt, l’hiver viendra mettre un terme à cette symphonie végétale.
Nougat ne lésine pas sur les petits pissous.
La truffe en ébullition, les occasions de lever la patte ne manquent pas : un réverbère par-ci, une voiture par là …, Marcel traverse la route et se retrouve sur un tapis de feuilles comme on en trouve sous les chênes. Une aubaine pour son clébard, surexcité par tant de pistes…
L’une d’elles le conduit à la base d’un talus, qui forcément attire l’attention de celui qui tient sa laisse d’une main de fer dans un gant de laine.
Et là, divine surprise !
Se dressant fièrement au-dessus de l’humus, trois énormes demi-sphères beiges attirent son regard.
Des cèpes !
Son instinct de corrézien ne peut le tromper, ça sent le champignon à plein nez, il sait que le coin doit en être plein.
Son clebs est en transe, il n’est pas loin de son centième étron reniflé, lui qui d’habitude doit se contenter d’un tour du pâté de maison.
D’un coup, Marcel n’est plus ce sexagénaire mollasson au dos arthrosé.
Les sens en éveil, c’est un prédateur impitoyable. Les trois bolets dans les poches, il poursuit sa traque tel un Terminator sylvestre.
Et là, au détour d’un taillis, il se met en arrêt, le museau levé et la queue presque droite.
Il est comme subjugué. Le cèpe qu’il aperçoit doit bien faire ses trois kilos, et semble aussi ferme que les fesses de Fabienne il y a quarante ans.
Le graal, la chasse de sa vie.
L’heure de gloire de Marcel Pichon a sonné, il s’imagine déjà posant fièrement devant un photographe de La République de Seine et Marne !
Ivre de désir, il se penche brusquement pour caresser le chapeau luisant du saprophyte.
Malgré son état second, il sent son portefeuille glisser de la poche de son blouson, et dans un réflexe désespéré tente de l’attraper au vol. Peine perdue, son morlingue finit dans les feuilles.
Son meilleur ami est une canaille qui depuis toujours guète la moindre faille chez ses maîtres pour se sauver ou voler le rôti dominical. Ne sentant plus rien à l’autre bout de la laisse, le chenapan en profite pour se faire la malle dans les bois.
La dernière fois, il l’avait cherché des heures dans les rues de Melun…
Marcel bondit comme un fauve, et court désespérément en direction de son toutou.
- Nougat, Nougat !
- Wouaf, wouaf !
- Au pied !
- Wouaf, …
Pas le temps d’entendre le deuxième wouaf, Nougat est déjà loin…
La poursuite a beau être vaine, le désespoir lui donne des jambes de feu. Il cavale comme un lapin, au jugé, espérant retrouver ce pelage familier. Un lapin en sueur et légèrement empâté, il se prend les arpions dans une souche et s’étale comme une merde.
Il se relève, son pantalon sur les genoux, repart, retombe, se relève, recourt, quand tout à coup…
- Police, vos papiers !
- Ah vous tombez bien, vous n’avez pas vu un gros chien marron, un berger allemand ?
- Y’a pas marqué brigade cinéphile Monsieur, allez, vos papiers !
- Vous n’allez pas me croire, c’est vraiment un mauvais film. Mais je vais vous expliquer, c’est simple à comprendre.
- J’vous écoute.
- Je faisais prendre l’air à mon Nougat, quand j’ai remarqué de gros champignons. Au moment de d’en cueillir un mastoc, j’ai perdu mon portefeuille et mon chien s’est enfui.
- Ah oui, c’est pas de chance tout ça, et vous pourriez me dire où ?
Marcel se retourne et regarde autour de lui. Il ne se rappelle plus combien de temps il a couru, ni d’où il peut bien venir. Il y avait des chênes, des feuilles mortes et là c’est plus vallonné avec des conifères et un sol sablonneux.
La magie de la forêt de Fontainebleau.
Et puis cette route, cette estafette, il n’y avait rien de tout ça.
- Pas facile Monsieur l’agent, j’ai dû courir un bon moment.
- Et je suppose que de ce fait, vous n’avez pas de papiers ?
- Mais je vous dis que je les ai perdus bordel !
- Calmez-vous s’il vous plait, vous habitez où ?
- A La Rochette.
- Mais c’est au moins à quatre kilomètres. Et bien sûr, pas d’attestation ?
- Mais putain, j’ai…
- Perdu mes papiers, oui je sais !
Sans doute surprise par le ton qui monte, l’occupante du véhicule utilitaire sort, singulièrement accoutrée. Guêpière, bas- résille, la tenue typique de celle qui trouve parfois des champignons sans forcément les chercher. Et qui les vend pour gagner sa vie.
- Bonjour mes chéris, que se passe-t-il ?
Ah cet accent ! Ces R qui roulent, comme on sait si bien le faire dans les Carpates !
- Ne vous inquiétez-pas mademoiselle, ce n’est rien !
- OK, et toi mon chéri, repasse donc me voir avant de remonter ton pantalon !
- Mais Madame, je ne vous permets pas !
- Allez, à très vite…
Autant dire que Marcel se verra délester de la modique somme de 1635 € par une Maréchaussée tatillonne.
135 pour défaut d’attestation de déplacement dérogatoire à plus d’un kilomètre de son domicile ; 1500 pour pénaliser le client de prostitution, qui comme chacun sait, n’est pas un commerce essentiel.
Avec en prime, le bonheur de devoir refaire tous ses papiers, carte grise, verte, vitale, bleue et d’identité…
S’il avait su, il aurait plutôt fait ses courses essentielles au Super U de Dammarie-les Lys.
Il aurait pu s’offrir quelques cèpes en promo à 47 € le kilo.
Mais surtout, ça lui aurait évité une explication houleuse avec Fabienne…
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