Le 13 mai 1968, grève générale et barricades font de la France du Général un pays au bord de l’insurrection.
Les étudiants sont en fusion, et huit millions d’ouvriers leur emboitent le pas. Le pouvoir vacille, le gouvernement Pompidou calme le jeu en signant les accords de Grenelle, qui voient le SMIC augmenter de 35% ; pour les autres salaires, ça sera 10%.
Après des semaines de « chienlit », De Gaulle décide de reprendre la main. Le 30, il dissout l’Assemblée nationale afin de rebattre les cartes et de renforcer son exécutif. Le moins que l’on puisse dire est que le grand Charles a eu le nez creux. En tout cas plus que le grand Jacques en 97, qui se prendra les pieds dans le tapis des législatives. Ce coup de poker est un coup de maître, qui donne dès le premier tour la majorité absolue à l’UDR !
On sait depuis bien longtemps que dès que le peuple gronde, la bourgeoisie prend peur. Et que dans les urnes, la majorité silencieuse se prononce pour l’ordre établi. Ça s’appelle la démocratie, parfois qualifiée de moins pire des systèmes.
Pour la plupart, les mouvements d’extrême gauche interprètent cet appel au suffrage populaire comme une trahison, une négation de la démocratie.
« Elections, piège à cons ».
Ce slogan, scandé dans les manifs de mai 68, est repris quelques années plus tard par Jean-Paul Sartre. Le philosophe écrit dans Les temps modernes :
« L’isoloir planté dans une salle d’école ou de mairie est le symbole de toutes les trahisons que l’individu peut commettre envers les groupes dont il fait partie. »
Jean-Paul ne remet pas en cause le principe démocratique, mais son fonctionnement représentatif. Il est partisan d’une expression démocratique directe, sans intermédiaire.
Le 25 mai, deux jours avant la signature des accords de Grenelle, neuf millions de français se mettent en grève générale. Ça fait trois millions de plus qu’en 36, et reste un record inégalé à ce jour !
Malgré l’ampleur gigantesque du mouvement, socialistes et communistes se font botter le cul aux législatives, en réussissant l’exploit de récolter moins de voix qu’il n’y avait de grévistes !
L’Union pour la Défense de la République ne fait pas dans la dentelle de Calais : elle mène une campagne efficace pour la défense de l’ordre et le rejet de la menace subversive. Comme en 36, on ajoute l’épouvantail totalitaire pour refroidir les ambitions du PCF. Le Front populaire était l’émanation dans les urnes d’un mouvement antifasciste né en 34. En mai 36, les accords de Matignon viendront clôturer de nombreuses grèves et occupations d’usine, par la signature d’avancées sociales bien connues, comme les congés payés, les 40 heures et une forte augmentation des salaires.
L’aventure ne durera qu’un an. La volonté de concession avec l’Allemagne et de revanche contre les conquêtes sociales finit par l’emporter. L’esprit de trahison de 39 se profile. La droite et les grandes sociétés n’ont pas tardé à réagir :
« Plutôt Hitler que le Front populaire ».
En 2022, ça fait maintenant des années que la révolte gronde dans l’Hexagone. Bonnets rouges, gilets jaunes, stylos rouges, cagoules vertes, bientôt, nous aurons les truelles jaunes des maçons, et même les gants marrons des proctologues, excédés de devoir viser la lune…
Personne ne sait vraiment où il veut aller, mais tout le monde se plaint, invective et insulte à longueur d’année et de réseaux sociaux. La violence ne s’est pas seulement invitée dans les manifs, elle est partout, dans les stades, sur la route, à l’école, à l’hôpital… Jusque dans les familles.
En 0, un célèbre barbu nous avait proposé de nous aimer les uns les autres. Les CRS de l’époque n’avaient pas bien compris le message. D’autres velus avaient remis le couvert à Woodstock en organisant une immense partouze : « faites l’amour mais pas la guerre ».
Un demi-siècle plus tard, l’heure n’est plus aux gros câlins.
Entre mondialisation, chape de plomb numérique et enfer climatique, l’avenir n’est pas au beau fixe. L’enfant qui s’endort avec ses parents et se réveille orphelin, qu’il soit ukrainien, syrien ou d’ailleurs fait des premiers pas légèrement chaotiques dans la vie. Le leucémique ou l’heureux pensionnaire des Glycines, assigné à résidence dans sa piaule pendant le Covid, a tendance à avoir une vision assez pessimiste de son avenir.
Quand la santé va, tout va !
Sauf si vous êtes chômeur, retraité, ouvrier, employé, prof, commerçant, flic, voyou, infirmière ou cheminot. Les soixante-huitards avaient légitimement besoin de souffler après 30 glorieuses le nez dans le guidon. Ils s’étaient réveillés pour réfléchir un peu à leur vie et à leur avenir, mais avaient élu la Chambre la plus conservatrice qui soit. Et au premier tour en plus !
En 2022, on est très éloigné des idéaux de 68.
De tout idéal d’ailleurs.
Aucune vision d’avenir ni de vrai changement au programme. Juste des peurs et des haines qui débouchent sur des contradictions qui interdisent toute avancée.
Quand on dit que Macron est le candidat des marchés, ce n’est pas qu’il serait le pantin de la finance. C’est plus qu’il symbolise une vision de la politique totalement assujetties aux lois du marché, de l’Europe, du Monde, du climat et la météo…
Une vision gestionnaire qui exclue l’action, l’utopie et les envolées lyriques.
Pas de champ de manœuvre, de la bidouille et des bouts de chandelle !
Pour sortir de ça, pas d’utopie au programme. En 2017, il y avait bien Benoît Hamon et son revenu universel.
Sinon, les Insoumis nous vendent la 6e République.
Le constat de Mélenchon et de ses troupes est loin d’être faux, le problème est plus dans les propositions pour changer ce monde inégalitaire. On peut discuter de la réforme constitutionnelle, mais côté financement, la recette est grossière : faire raquer les riches, rogner leur compte en banque comme jadis on faisait avec leur tête. Mais attention, on est tous le riche de qq1 : pas de problème pour abolir les privilèges de ses salauds de bourges, mais pas question de toucher à nos petits avantages. Je soupçonne nos chers insoumis d’être plus prompts à prendre qu’à donner. On verra si Jean-Luc devient 1er ministre ! Pour cela, Jadot, Hidalgo, Roussel et Méluche devront réussir au 3e tour ce qu’ils avaient raté au 1er : comme Blum et Jospin avaient su le faire.
Quelque chose me dit que ce n’est pas gagné. Le soir du 1er tour, on a vécu un grand moment d’émotion. Notre Chavez national a tout d’abord annoncé la larme à l’œil qu’il laissait la place aux jeunes ; puis qu’il leur souhaitait de faire mieux encore : comme un père qui rêve que ses enfants le surpassent.
Deux semaines plus tard, il repart en campagne pour être élu 1er ministre !
Même Sarkozy avait été plus patient. Sa mégalomanie commence à se voir un petit-peu. Pire, sa nouvelle campagne d’affichage n’est pas ce qui se fait de mieux dans la corbeille de mariage. Sa cravate est revenue par miracle, mais Yannick, Anne, Fabien et les autres sont peut-être moins sensibles que d’autres au charisme du gourou insoumis.
Le RN pèse un tiers de l’électorat.
La famille Le Pen a fait croître sa PME, passant de moins de 200000 voix en 74 à plus de 12000000 en 2022 !
La plupart de ses 144 propositions font plus dans le Yaca-Faucon que dans le réalisme politique ou économique : souvent du vent, parfois du néant. Mais le plus étonnant, dans tout ça, c’est le grand-écart de Marine au niveau du constat depuis que Zémour a mis les mains dans le fumier : les coupables ne sont plus les étrangers ni-même la mondialisation. Le grand Satan, c’est Macron !
Après la haine de l’autre, la haine de Manu. C’est la seule manière de rassembler des troupes si disparates sous sa bannière bleue Au niveau des idées, il est impossible de faire cohabiter quelques fachos, des nostalgiques du passé, des gilets jaunes et quelques désespérés : trop éloignés pour être fédérés. Marine n’est pas Donald et les USA ne sont pas la France.
On en est là.
Tous contre Macron : à côté, Sarkozy n’était qu’un amateur. Pas un seul battu de ces présidentielles n’a reconnu sa défaite. Pire encore, pas un n’en a analysé les causes profondes. Le seul mot-d ’ordre qui vaille est de souhaiter la défaite du vainqueur, avant-même de la prédire. Chez les rassemblés comme chez les insoumis, il n’y aucune vision globale ou d’avenir qui tienne la route. Pas une utopie loufoque mais un modèle nouveau et assez puissant pour donner envie et confiance dans l’avenir. Et de ce point de vue, attention à ne pas confondre un gourou avec ses idées : Jean-Luc et Marine sont de brillants tribuns, mais un brin mégalo !
Alors que ce soit au 1er, 2e ou 3e tour, que nos deux mentors en appellent au 4e tour social, le soir de leur défaite du 19 juin, il sera temps de revoir des archives de mai 68 :
« Elections, piège à cons » !
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