Jean-Pierre a les nerfs !
Pourtant, il avait tout prévu.
Après 40 ans chez Peugeot, il vient de faire une folie, en s’offrant la dernière 5008. La dernière fois, c’était il y a quelques années ; une 505 GTD dont il s’est séparé après 735 000 km de mariage. Un dos qui couine, ça vaut bien 7 % de ristourne sur les bolides de la marque au lion.
Avec Catherine, ils viennent de fêter leurs noces de Topaze : pas question de divorcer après 44 ans de mariage, surtout quand le meilleur reste à venir. Depuis quinze piges, ils sont les heureux propriétaires d’un mobil home au camping de Saint-Jean-de-Monts. Un 8 places de 21 m² toutes options, avec clim et moquette dans les chambres ; la Rolls du caravaning, à moins de 4 kilomètres de la plage !
Un projet bien ficelé, leur banquière a bien bossé. La dernière échéance du crédit est pour mai 2024, un mois avant son départ à la retraite. Sa femme s’en fiche, ça fait 3 ans qu’elle est en « longue maladie » pour un désordre hépatique. Dès juillet, fini leur F3 à Pontault-Combault, à eux les plages immenses de la Vendée, le surf, la voile, la plongée, la pêche et les apéros… enfin surtout la pêche et les apéros. Elle nourrit une vraie passion pour le Martini, lui fait plutôt dans le petit jaune. Tant pis pour les Jeux-Olympiques, ils les regarderont à la télé. Surtout Jean-Pierre, Catherine n’aime pas le sport. A part le patinage artistique, mais ces crétins du CIO l’ont mis au programme des Jeux d’hiver.
Malheureusement pour eux, un golden boy picard en a eu marre de faire des selfies avec de jeunes citoyens du monde. Pour entrer dans l’histoire, il a décidé de sauver un fleuron de la civilisation française, la retraite par répartition.
Pas d’impact direct pour Catherine, malgré la dévotion du corps médical, la pauvre femme n’est pas près de guérir. En revanche, il va falloir retarder leur départ dans l’Ouest, de 6 mois selon la police, 12 selon la CGT. De longues semaines de bonheur durant lesquelles il retraversera la Seine-Saint-Denis en RER, direction l’usine d’Aulnay-sous-Bois. C’est largement moins monotone que la pinède qui mène à la plage des Tonnelles. Et moins périlleux tant la nature est parfois hostile : vous n’êtes pas à l’abri d’un incendie, d’une chute de pomme de pin ou pire, de l’attaque d’un écureuil enragé…
L’OLYMPE
Rio 2016.
La boxe tricolore fait parler la poudre. Estelle Mossely et Tony Yoka décrochent la timbale et deviennent le couple le plus glamour de France depuis Stone et Charden. Sa victoire en finale contre le Britannique Joe Joyce n’est pas des plus limpides. Mais ce grand escogriffe de 2m01 marque les esprits et impressionne par un coup d’œil et une rapidité pas forcément en vogue chez les super lourds.
Largement de quoi susciter l’intérêt de Canal, la chaîne de la boxe.
16 ans plus tôt, ils avaient fait la même avec Brahim Asloum, champion olympique à Sidney. Associés dans cette affaire, les frères Acariès font le nécessaire pour amener leur poulain au titre mondial des mi-mouches en 2007.
Pas mal de controverses, mais une ceinture WBA à la clef.
LA CONQUETE
Le grand Tony fait la une des magazines, épouse Estelle, squatte les plateaux télé et signe un gros contrat d’exclusivité de 4 ans avec Canal. Le gars est ambitieux, et ne brille pas par son humilité. D’aucuns disent qu’il aurait même le carafon !
En tout cas, il joint le geste à la parole, prend un coach réputé, Virgile Hunter, et part s’entraîner en Californie. Son objectif clairement énoncé est de devenir le premier Français champion du monde des lourds.
Malgré une médiatisation démesurée, ses premiers combats frisent l’escroquerie. Un public nombreux et plein d’attentes se fait avoir en assistant à des affrontements contre des adversaires tout droit sortis d’un comptoir de pub irlandais. Après deux matchs plus pertinents en 2018, une suspension d’un an pour « manquements » à la réglementation antidopage puis le COVID se chargent de tirer le frein à main de « la conquête ».
6 matchs plus tard, le grand Tony remplit Bercy en mai 2022 pour se frotter aux 125 kg du Congolais Martin Bakole. Compté à la 1ère et à la 5e, le protégé de Bob Arum s’accroche comme il peut pour terminer par une défaite aux points, sa première.
La « conquête » a du plomb dans l’aile…
LA RECONQUETE
La bête est blessée, mais pas morte.
Après une période de doute, il remet les gants et les bouchées doubles à l’entraînement. Son prochain adversaire, Carlos Takam, est un dur à cuire. De 42 ans certes, mais un vieux routard des rings avec 40 victoires dont 28 avant la limite. On se rappelle notamment qu’en 2017 il n’avait pas été ridicule contre le Joshua de l’époque, champion du monde en titre.
Sur le ring d’un Zénith à moitié vide, plein selon les optimistes, Yoka n’est que l’ombre de l’amateur de Rio.
Il ne lui manque qu'une boule rouge et des pinces à téton, le Coq Sportif a créé pour lui une tenue qui va s'arracher dans les milieux SM. Plus riche, plus lourd, plus tatoué, il a complètement perdu sa boxe, à tel point qu’on doute qu’il fasse les sacrifices que le Noble Art impose. Lent et inefficace, il semble surtout paralysé.
Par l’enjeu ?
Par la peur ?
Tony encaisse sa deuxième défaite. Après le combat, ses mots ne respirent pas l’optimisme, on n’est pas totalement convaincu quand il annonce qu’il va se remettre au travail…
LA RETRAITE
Les boxeurs sont rarement syndiqués à la CGT.
Le 7 mars dernier, on en a vu peu défiler avec Jean-Pierre contre la réforme.
L’ouvrier va certainement devoir retarder d’un an la migration vers son coin de paradis. Le décompte retraite de Tony est bloqué à 13 unités, bien loin des fameuses 42 annuités.
Il va falloir redevenir ce que tu étais, faire simplement ton métier sans médiatisation excessive. Laisse tomber ta communication désastreuse et pars te battre dans un faubourg de Mexico ou à la salle des fêtes de Bully-les-Mines.
Mais le mieux pour tout le monde est peut-être d’arrêter les frais, de ne plus vendre de rêve à ton public.
Trouve toi un vrai métier pour valider les 139 trimestres qui te manquent...
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