M. est entré depuis un moment dans sa sixième décennie.
Sans état d’âme.
Comme on va à la plage.
D’aventure voyageur, cette année il est resté dans l’hexagone, corona oblige.
Alors il s’est loué un petit bungalow au CHM de Montalivet, le plus vieux camp français : l’occasion de regoûter aux joies de la côte atlantique, mais en plus, le cul à l’air.
Ou même les couilles s’il décide de se retourner.
Après une bonne après-midi de bronzette et de lutte contre les rouleaux, son ventre presque plat crie famine, et le jambon de Bayonne acheté la veille l’appelle déjà. Merde, il se rappelle aussi qu’il a fini sa bouteille de Ricard !
10 minutes plus tard, il doit faire la queue pour entrer dans la superette du CHM.
Une bonne vingtaine de clients font comme lui, nus, téléphone dans la main et masque sur le nez, attendant patiemment que quelqu’un sorte pour entrer.
Piégé pendant un bon moment, il s’évade un peu en laissant son esprit vagabonder, entre forêts de pins et souvenirs d’enfance…
Le lendemain, c’est le départ en vacances, dans les Landes.
L’excitation est telle qu’il a beaucoup de mal à trouver le sommeil.
Autant dire qu’il a les yeux qui piquent quand sa mère vient le réveiller aux aurores pour venir s’installer dans une berline familiale dont le moulin tourne déjà.
A eux les joies de la Nationale 10, pendant une bonne demi-journée, ils ne manqueront pas de temps pour apprécier. Tours, Poitiers, Angoulême, les bouchons se succèdent jusqu’au pire d’entre tous, Saint-André de Cubzac, juste avant Bordeaux.
Pas d’autoradio, heureusement que ses parents enquillent gitane sur gitane, ça sent bon et surtout, ça fait passer le temps.
Quelques années plus tard, le cancéreux en sursis est devenu un beau jeune-homme qui comme ses potes, a la queue qui frétille.
Rock Hudson, Klaus Nomi et bientôt Freddy sont les premiers d’une longue liste qui mettra un coup d’arrêt à la libération des corps.
Pas de traitement, pas de vaccin, le latex entrera bientôt dans la vie de ceux qui déroulent un peu de câble.
L’an 2000 !
La révolution numérique, le 11 septembre, …
Finies les queues interminables à la cabine téléphonique du camping, les quidams sont devenus des zombies penchés sur l’objet qu’ils tiennent dans main, plus puissant qu’un ordinateur de la CIA des années 70.
Une machine aussi monstrueuse que miniature, qui leur permet de communiquer avec n’importe qui, n’importe où sur terre. Et de filmer, d’analyser, d’écouter de la musique, de voyager, d’acheter n’importe quoi, …
C’est à vous Monsieur !
Heu pardon, je rêvassais.
Vous avez un masque ?
Merde, je l’ai oublié.
Ça va pas être possible de vous laisser entrer !
Adieu veau, vache, Ricard, M. sent son ventre se nouer et une chaleur intense lui monter aux tempes.
Il est sur le point d’exploser.
Insulter le sbire ?
Il a la bonne idée de s’éviter une longue soirée aux urgences du CHU de Royan.
Tout comme dans les geôles torrides de la gendarmerie.
Demi-tour, son bungalow est à 900 mètres du commerce, largement de quoi se lamenter.
Les clopes, les capotes, les radars, les vaccins, les gilets jaunes…, jusque-là il ne s’était jamais révolté. Mais là, il n’en peut plus !
Mais alors, plus du tout.
Il se balade nu comme un vers, et on voudrait l’obliger à se mettre un bout de tissu sur le pif !