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J'M'EN FOUS DE LA FRANCE


J’m’en fous de la France

On m’a menti

On a profité d’mon enfance

Pour me faire croire à une patrie

J’demande à voir l’égalité

L’égalité qu’était gravée

Sur le fronton de la mairie…

C’est Maxime qui le dit.

Le Forestier.

C’est vous dire si c’est vrai.

P. avait vu ce confinement d’un œil plutôt bienveillant.

Sans tomber dans l’inavouable, il avait vécu les premiers matins sans réveil comme une aubaine. Ne pas aller bosser ne lui faisait pas de mal, et c’est avec une joie certaine qu’il vivrait cet avant-goût de vacances.

Après tout, ce virus n’était pas si méchant que ça, et la météo se montrait assez clémente pour envisager les premiers barbecues de l’année.

Deux semaines plus tard, le tableau est déjà moins idyllique.

Il a rangé le garage, bichonné le jardin et lustré sa luxueuse berline comme un sou neuf. Il a courageusement réagi à l’arrêt du foot à la télé en se lançant à corps perdu dans les séries qu’il ne prenait pas le temps de mater.

Ses deux ados lui tapent sévèrement sur le système ; quant à sa vie de couple, la promiscuité inattendue avec sa chère épouse tourne plus au vinaigre qu’à la seconde lune de miel.

Autant dire que son déplacement dérogatoire est une bouffée d’oxygène quotidienne, lui qui faisait du sport une fois par… enfin aussi régulièrement que d’autres se rendent à l’office.

Comme chaque jour au crépuscule, il chausse sa paire de pompes à virgule pour un déplacement bref à proximité de son domicile, lié à son activité physique individuelle. Puis il prend son stylo et finalise son attestation.

Étrange, un peu comme s’il signait son propre arrêt de travail ou l’acte de décès de sa chère belle-mère.

Je soussigné… atteste par la présente…blablabla…

Fait à… le … à 19H15

Chacun sait que le Français est un peu truqueur.

P. ne voit pas d’inconvénient à s’offrir un petit quart d’heure de liberté, il est pile poil 19H00 quand il sort de chez lui, son précieux sésame dans la poche.

Quel rebelle.

Les rues sont vides, il prend bien soin de ne pas s’approcher à moins d’un mètre des quelques quidams qu’il croise.

Il est bien et se sentirait presque libre si son instinct n’était pas en alerte. Comme si des dizaines de paires d’yeux l’épiaient, bien dissimulés derrière le rideau de la fenêtre.

Un sentiment étrange, comme le Numéro 6 dans Le Prisonnier.

Un Patrick McGoohan de banlieue qui peut à tout moment se faire gober par un énorme ballon blanc…

P. se sent en canne, il faut dire qu’il a plus couru en quinze jours que ces dix dernières années.

19H08, il accélère la cadence.

Jacky Boxberger, le retour, il lui reste 7 minutes pour rentrer au bercail.

Possible s’il ne faiblit pas…

20H13, les 200 derniers mètres c’est cadeau !

Alors qu’il imagine déjà la caresse de l’eau tiède sur son corps, un gyrophare le sort de sa douce rêverie.

  • Police nationale, veuillez présenter vos papiers !

  • Pas de soucis, je vous sors ça, pièce d’identité et attestation.

  • Je suis désolé Monsieur mais il est 20H15, votre autorisation est dépassée d’une minute.

  • J’habite juste là Monsieur l’agent, regardez l’adresse sur ma carte, il était 14 quand vous m’avez arrêté.

  • C’est juste, on peut dire que vous avez de la chance, à une minute près, c’était l’amende.

Au moment précis où il va prendre congé de la maréchaussée, une fenêtre s’ouvre, celle de son voisin.

  • Messieurs ?

  • Quoi encore !

  • Si ça vous intéresse, je peux vous montrer une vidéo où l’on voit Monsieur P. sortir de chez lui.

  • Oui, et alors ?

  • Et alors ! Il était 19H01, regardez c’est inscrit là.

P. se voit délesté de la modique somme de 135 €, grâce à la collaboration spontanée d’un bon citoyen. Pour services rendus, sa regrettée grand-mère avait eu droit à une coupe gratuite à la Libération.

A quelques hectomètres de là, la nuit est tombée sur ce délicieux quartier, comme on en voit fleurir dans des banlieues où il fait bon vivre.

Des oasis médicales où le COVID-19 n’a visiblement pas droit de cité.

Alors que la Police municipale s’enorgueillit du troisième joggeur épinglé de la journée, un petit match de foot démarre tranquillement à la lumière des réverbères. Cet après-midi, les plus anciens se sont dégourdis les jambes avec une petite pétanque entre amis.

Courir est quand même plus transgressif que jouer aux boules ou au ballon, et cette jeunesse désœuvrée a bien le droit de s’amuser un peu. Y a plus moyen de sortir les motocross, alors il faut bien se détendre un peu.

Le tout sans prendre le risque insensé de transporter le virus dans les rues de la ville.

Et puis, je voudrais vous voir écrire votre attestation sur une feuille d’OCB !

Les déshérités d’hier sont les nantis d’aujourd’hui. Pas besoin d’aller dans le XVIe ou en Californie, les quartiers sensibles sont l’eldorado des temps viraux.

Un monde idéal dans lequel l’épidémie fait comme la police, elle n’entre pas.

Un monde magique, où de sympathiques fantômes viennent la nuit tombée, redonner vie à des lieux pourtant fermés.

Certains kebabs et lieux de culte à peine salafistes sont investis par des êtres surnaturels.

Le pays est en guerre, Manu nous l’a dit d’un ton martial.

Pourquoi ne pas applaudir aussi ces héros du canabis, qui au péril de leur vie, permettent à certains de faire leurs courses de première nécessité ?

J’demande à voir l’égalité

L’égalité qu’était gravée

Sur le fronton de la mairie…

L’égalité des droits est une vaste blague, c’est le thème de la chanson de Maxime. Un thème toujours d’actualité.

Mais l’égalité des devoirs ?

Là encore, il faut croire que tous les citoyens français ne sont pas logés à la même enseigne.

J’m’en fous de la France

On m’a menti

On a profité d’mon enfance

Pour me faire croire à une patrie

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