Personne n’aurait pu se douter qu’on allait tous finir comme des cons.
Cette année 2020 avait commencé comme la précédente s’était terminée, entre grèves et gilets jaunes. Les Chinois étaient encore passés pour des crétins exotiques, jusqu’à ce que ce maudit virus vienne tout balayer du côté de chez nous.
Après une étape transalpine, le germe a été moins respectueux qu’un nuage resté célèbre. Une fois de plus, la Ligne Maginot n’a rien pu faire contre cette invasion, les habitants du Grand-Est ont été les premiers à tomber comme des mouches.
Parti pour durer quelques semaines, le confinement de la population s’est enlisé, et a duré des mois, tellement longs qu’ils se sont faits années. Il y a bien longtemps que la bonne blague du mois de mars n’en est plus vraiment une, on peut dire que les Français sont assignés à résidence.
On est loin de la joyeuse pagaille de ce début de printemps.
Les héros de la République, ceux qu’on avait envoyés au casse-pipe sans masque, le sont aujourd’hui à titre posthume.
Les rues, les hôpitaux et les magasins sont des déserts qui ne seront bientôt que ruines et désolation. Tous ceux qui bossaient l’ont payé de leur bien le plus précieux.
Il n’y a plus de médecins, ni de médecine.
Ceux qui meurent sont jetés dans les rues, des camions robotisés sillonnent les villes H 24 pour ramasser les cadavres.
S’acheter à manger est devenu impossible. Il n’y a plus rien.
Les chats qui sortent ne rentrent pas.
Chaque semaine, des androïdes viennent ravitailler les survivants, des sacs de croquettes encore plus improbables que celles destinées jadis à nos meilleurs amis.
Sortir de chez soi est devenu impossible.
Le danger vient autant du virus que des robots policiers qui pullulent et tuent sans sommation. On est loin des contraventions que leurs ancêtres humains distribuaient à ceux qui n’avaient pas d’attestation de déplacement dérogatoire.
En cette fin de mois de mai 2019, la farandole des barbecues est un avant-goût sympathique à l’été qui s’annonce.
Depuis l’année dernière, S. s’est mis au jardinage. Faire quelque chose de ses dix doigts l’a rendu fier de lui, de sa récolte de salades et de courgettes. Cette année, il a déjà planté des patates, de la bonne grenaille, et il couve ses plants de tomates d’un regard paternel.
Son chien est joueur.
Qu’il prenne son authentique canapé Ikéa pour des toilettes sèches, ou qu’il déchiquette avec application sa dernière paire de Nike le faisait presque rire.
Mais qu’il creuse un terrier dans son potager, S. n’a pas trop aimé.
Le pauvre toutou partira en vacances en forêt de Sénart, pendant que son ex-maître fera de même au VVF de Saint-Jean de Monts.
De toute façon, ce village de vacances n’acceptait pas les chiens.
Et puis, c’était plus intime pour passer cette quinzaine avec celle qui partage sa vie depuis bientôt un an. Leur premier vrai séjour, après des weekends plutôt sympas. L’Orient-Express aurait été plus romantique, quoique légèrement plus cher.
Mais la lune de miel ne passera pas la première semaine.
Heureusement pour lui, revenir de Vendée est plus pratique que de se farcir un retour de Vladivostok…
Les premiers temps, S. a vécu ce confinement comme un épisode peu contraignant, presque un imprévu salutaire dans une vie de dingue.
Comme beaucoup, il a profité de ce temps libre pour réaliser des choses qu’il n’avait pas le temps de faire.
Rangement, bricolage, jardinage, il allait aussi profiter des sommes colossales dont Netflix le rackettait.
Sans oublier tous les livres qu’il n’avait pas lus.
Après quelques semaines, les conditions de sortie se sont durcies.
Faire les courses eut le charme suranné des Républiques populaires, et le coup du footing était de moins en moins toléré par la maréchaussée.
Sans obligation professionnelle et en bonne santé, sa seule possibilité aurait été de promener son chien.
Malheureusement, son fidèle toutou n’avait pas cru bon revenir chez lui, ou alors, il n’avait pas aimé la Francilienne.
En consultant le Bon Coin, entre des annonces de masque à 150 €, il avait trouvé des bâtards à 35 000 € ; s’il avait su…
Après plusieurs mois, il était sec comme le bâton d’un berger ariégeois.
Il faut dire qu’il n’allait plus trop au MacDo, que sa cave était désespérément vide et que les deux heures de gainage quotidiennes faisaient effet.
Assez satisfait de ce qu’il voyait dans la glace, il commençait à trouver le temps long, sa pression intra-testiculaire allait atteindre les deux chiffres.
Heureusement, sa main droite lui permettait de tenir le coup, malgré la réprobation unanime de l’Eglise.
Cette pratique s’avéra si monotone qu’il se mit à regretter celle qu’il avait respectueusement congédiée quelques mois plus tôt.
Si on reste au ras des pâquerettes, on peut dire qu’avant de faire n’importe quoi, il est préférable de réfléchir un peu.
Mais la morale de cette histoire est tout autre.
Pandémie historique, catastrophe sanitaire ou économique, c’est à la fin de la foire qu’on comptera les bouses.
Ce virus représente bien plus encore.
Il est le révélateur d’un monde absurde, le nôtre.