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MÉFIONS-NOUS DES APPARENCES ( TROISIÈME PARTIE )


Le modèle de l’ancien monde était d’une clarté à faire pâlir la Francilienne un soir d’hiver.

Le plus gros du contingent entrait dans une boite en sortant de l’école, et en sortait quelques décennies plus tard à la retraite, sauf ceux qui le faisaient les deux pieds devant.

Juste un petit tour par la caserne pour les uns et par la maternité pour les unes.

Largement de quoi profiter de sa famille, de son pavillon à Pontault-Combault et de ses allers-retours à Gustave Roussy. Pour ceux qui n’avaient pas su arrêter à temps de taper dans la gourde et la gitane sans filtre, leur veuve éplorée pouvait se consoler avec le voisin et la pension de reversion.

Une famille du peuple, ouvriers ou techniciens, pouvait se payer son logement, partir trois semaines à la mer l’été, une semaine l’hiver à la montagne et même envoyer ses marmots un mois en colo, de peur qu’ils ne s’ennuient en bas de l’immeuble.

Qui peut se le permettre de nos jours ?

Un pilote de ligne ?

Un DRH ?

Un cadre de la SNCF, pardon, veuillez excuser ce pléonasme.

En 2019,le monde n’est plus du tout le même, le ringard d’hier est devenu le luxe d’aujourd’hui.

1800 € la semaine au VVF de Saint-Jean de Monts, tout ça parce qu’on l’a rebaptisé Club Belambra !

Le tout sans fumer son paquet de gitanes dans la bagnole, les enfants oseraient l’ouvrir pour se plaindre. Les petits effrontés ! Et pas moyen de se consoler le midi en s’enfilant une demi-douzaine de godets, les CRS risqueraient de ne pas apprécier.

Mais ne nous méprenons pas.

Le propos n’est pas de dire que c’était mieux avant ou que tout allait bien.

C’est juste qu’aujourd’hui les perspectives d’avenir apparaissent tellement sombres et incertaines, et que la contestation manque de panache et de romantisme.BELAMBRA

L’ambition professionnelle n’est pas d’être chercheur ou avocat, mais d’obtenir un CDI, fut-il dans une cimenterie ou aux PFG. Mieux, d’entrer dans la fonction publique.

Finalement, les antillais avaient tout compris avant tout le monde.

Et pas seulement José Sébéoulé, qui comme chacun sait est le chanteur de La Compagnie Créole.

S il égaye tous les jours la morne vie de ses camarades d’Epadh, c’est parce qu’il est rentré aux PTT à l’âge de 17 ans.

Certains médisant disent qu’il leur casse les oreilles, enfin les rares qui ne sont pas sourds.

Grace à l’action de ses camarades de la CGT, il a pu partir à la retraite à 41 ans, en 1989. Il faut dire que facteur était en ces temps reculés un métier pénible, pour les mollets comme pour le foie. Le tout été comme hiver, dont on connait la rigueur légendaire sur les rives austères de la mer des Caraïbes.

Depuis, il a tout son temps pour animer un ptit mariage par-ci, un baloche par-là, juste de quoi se payer quelques acras quand il boit un ti-punch.

Il faut dire que sa retraite de la poste, calculée sur ses six derniers mois, n’intègre même pas la prime de verglas, ni celle de travail de nuit obtenue de haute lutte par ses collègues du bureau de poste de Nuuk, la capitale du Groenland.

Francky Vincent, son pote d’enfance, a commencé à bosser à 14 ans dans la canne à sucre chez Damoiseau.

Sa retraite est indigente, mais ce privilégié a encore droit à deux bouteilles de rhum par ans pour Noël.

Quand on entend d’odieux diviseurs qui osent se plaindre du fait que le petit fils d’un cheminot paye 5 € pour prendre le TGV !

C’est quand même beaucoup plus que ce que ne paye pas un député, qui fait un voyage d’étude à Courchevel.

Il faut dire qu’il y a de moins en moins de neige à Megève.

La convergence des luttes.

Quel beau concept.

La France laborieuse a battu le pavé qu’il soit parisien ou pas.

Les avocats, la RATP, la SNCF ont lancé un mouvement qu’ont rejoint les profs et le personnel de santé.

Le sous-prolétariat d’ENGIE y est allé de ses petites coupures, ceux qui avaient leur Chapon au congélo devront fêter Noël avec quelques jours d’avance.

Des alliés plus que de circonstance se sont retrouvés dans la même manif, sous les mêmes bannières.

Magnifique et si peu hypocrite.

Des salariés qui partent à la retraite alors qu’ils sont de fringants quinquas y côtoient des compatriotes qui eux, ont la chance de ne pas se flinguer la santé en exerçant un boulot pénible.

Pendant que les uns soigneront leurs rhumatismes ou leurs poumons, brisés par une carrière terrible, les autres se régaleront en enseignant la Shoah dans un lycée professionnel d’Aubervilliers. A 64 ans, le bon âge pour changer un bassin en gériatrie, à l’hôpital de Juvisy-sur-Orge.

Quant aux agriculteurs et aux ouvriers du bâtiment, chacun sait que travailler au grand air est meilleur pour la santé que de passer ses 32 heures de travail dans l’atmosphère vicié d’un couloir de métro.

Et puis soulever des charges est bon pour le dos, la fonction crée l’organe.

Le glyphosate n’est pas cancérogène, comme la cigarette dans les années 70.

Ou la gnôle un soir d’hiver, au fin- fond de la Picardie.

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