Aujourd’hui je vais prendre un gros risque, celui de me fâcher avec mes amis de gauche.
Si je vous jure qu’il en reste.
Non pas des amis. Sans être des milliers, ceux qui sont là me sont chers.
Je parlais des gens de gauche.
Il en reste bien quelques uns, dont certains ont pu boire quelques mojitos le week-end dernier à la fête de l’Huma en écoutant la voix sensuelle de Marc Lavoine leur chanter « les yeux revolver ».
Quant à leurs ex alliés du Programme Commun, ils ont réalisé un double exploit invraisemblable : dilapider les 45 patates du QG historique de Solférino et disparaître du paysage électoral, le tout en moins de temps qu’il ne faut pour manger une cuillère de caviar.
Comment est-ce possible ?
Tous ces militants sincères et motivés.
Tous ces apparatchiks, ces représentants et ces élus solidement accrochés à leur poste, pour le bien commun, des autres comme du leur.
Le prix de la Démocratie.
Où sont-ils donc passés ?
Les sirènes bleu-marines ont sonné le rassemblement d’un bon nombre qui ont mis le cap à l’ouest, tout droit puis dernière à droite, au fond du village.
Un ex-cacique du PS a senti le vent tourner, il a troqué sa cravate rose pour un col Mao, juste avant un aller sans retour pour le cimetière des éléphants. Des millions d’insoumis l’ont suivi jusque-là, mais on se demande pour combien de temps encore.
Puis les marcheurs et les gilets jaunes ont raflé la mise en se partageant le gâteau. Le pouvoir pour les uns, la révolte pour les autres.
Chacun son business.
La guerre entre eux est impitoyable.
Parfois sanglante sur le macadam, de tranchée sur les réseaux sociaux.
Un caniveau numérique dans lequel tout le monde crache son fiel.
Sans retenue.
Sans humour.
Bienveillance et discernement aux abonnés absents…
La parole se libère, et cet oasis de liberté s’est transformé en un monde cauchemardesque où des millions de commentaires décérébrés côtoient des émoticônes colorés.
Le royaume du like et de l’insulte, duquel le neurone est banni.
Chaque mot, chaque mimique ou posture est décortiqué et interprété avec un discernement proche de celui d’un fonctionnaire de Vichy.
Celui de Pétain, pas de la pastille, qui elle dégage une fraîcheur salutaire dans la bouche de celui qui la croque.
Et c’est dans ce contexte de bonne humeur et de franche camaraderie que nos politiques doivent débattre d’un truc qui touche tout le monde.
La retraite.
En tout cas ceux qui n’ont pas décidé de se payer un petit séjour à Gustave Roussy, afin de mettre un peu d’ordre dans leur division cellulaire.
Autant dire que les échanges qui s’annoncent à l’Assemblée Nationale s’annoncent sereins et constructifs.
Alors sur la toile !
A ma droite, d’odieux suppôts de Satan qui surfent sur la mondialisation pour la faire à l’envers à ceux qui ont du mal à joindre les deux bouts. Ces ultra-libéraux ont un peu de mal à comprendre le manque d’ambition de celui qui postule comme contractuel aux espaces verts de la ville de Melun.
Alors qu’à moins de 80 000 euros on peut s’offrir le dernier X6. Mais attention, à ce prix-là chez BM, on est en entrée de gamme, pas moyen d’avoir les jantes 46 pouces en carbone.
A ma gauche, les masses laborieuses qui profitent honteusement du modèle social à la française, le plus redistributif du monde. Au prix de luttes parfois sanglantes, leurs glorieux anciens ont arraché au grand capital les congés payés, la sécurité sociale, la retraite à 60 ans et les 35 heures.
Une modulation nécessaire de l’exploitation de l’homme par l’homme.
Alors que pour 10 SMIC, on peut rouler en Twingo 3, archi connectée avec son écran tactile 7 pouces.
Octogone !
Booba / Kaaris, en moins bling bling.
La rentrée des classes à peine passée, la plus tranquille depuis bien longtemps selon le Ministre de tutelle, on est passé à la rentrée sociale.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle s’annonce houleuse, comme la mer du Nord un soir de grande marée.
D’un côté du bon sens et de la logique.
Un nombre décroissant d’actifs ne peut pas financer des retraités toujours plus nombreux, et vivant de plus en plus longtemps. Impossible à équilibrer sans recourir à l’emprunt.
Deuxième principe, du domaine de l’équité, on a tous un peu de mal à envisager qu’à pénibilité égale, une personne puisse se retirer dix ans avant une autre, avec une pension calculée sur les six derniers mois de salaire.
Le fameux régime universel, auquel on oppose souvent l’argument : « Mais pourquoi tenter d’aligner les choses par le bas ? »
Bon sang, mais c’est bien sûr !
De l’autre côté, le principe de réalité.
« Je vais devoir taffer deux ans de plus pour palper 300 euros de moins ! »
Imparable.
Vraisemblablement échaudés par le manque cruel de considération des gilets jaunes pendant des mois, les syndicats ont décidé de réagir en prenant un peu de hauteur.
Loin des Black blocs et de la Jacquerie, juste histoire d’être constructifs.
Les premiers à dégainer ont été les agents de la RATP, rapidement suivis par les pilotes de lignes …
Le fleuron, la crème de la crème, des salariés honteusement exploités par un impitoyable système capitaliste, en particulier si on parle du régime des retraites.
Une sorte de récompense normale, en échange d’horaires et de salaires scandaleux pendant leur courte carrière…
Le pays a été tellement ému par tant de souffrance qu’il se demande bien ce qu’attendent les salariés de la Banque de France, les ministres et les députés pour rejoindre le mouvement.
Dans ce monde en manque de repères, un peu de crédibilité ne fait pas de mal.
Un peu comme quand l’industrie pharmaceutique ou agro-alimentaire finance des organismes qui veillent sur notre santé comme des chiens de berger sur le troupeau.