On peut comprendre ce qui fait peur à l’être humain.
La grande faucheuse n’est pas forcément la chose la plus légère au monde, surtout si on sort de Gustave Roussy avec la promesse d’un joli traitement.
Le clébard, lui, se pose moins de question quand il renifle le cul d’un de ses congénères deux minutes avant de se faire renverser par une bagnole.
Sans tomber dans le blasphème, d’aucuns se disent que c’est cette peur de la mort qui serait à l’origine des religions.
C’est un peu la même chose pour la femme.
De tous temps, elle a toujours fasciné les hommes, surtout s’ils sont hétéros.
Son corps, sa sexualité, le plaisir infini qu’elle peut prendre peut faire peur.
Là aussi, la religion s’en est mêlée avec finesse, en particulier dans sa version intégriste. Le mieux, pour éviter toute tentation, c’est d’enfermer cette bougresse, la protéger de regards lubriques comme d’elle-même.
Mais ça va plus loin, le poète s’est souvent cassé la plume au moment de trouver un joli petit nom au sexe féminin. Georges en a fait une chanson, « Le blason », dans laquelle il avoue son impuissance et celle de ses collègues.
« Alors que tant de fleurs ont des noms poétiques Tendre corps féminin c'est fort malencontreux Que la fleur la plus douce la plus érotique Et la plus enivrante en ait de plus scabreux.
Mais le pire de tous est un petit vocable De trois lettres pas plus familier coutumier Il est inexplicable il est irrévocable Honte à celui-là qui l'employa le premier »
Et on peut faire le même constat pour l’acte sexuel, celui que certaines religions réservent à la procréation.
Pour ma part, le pire de tous est un vocable de six lettres.
Je vous propose un petit pendu :
N - - - - R.
Jean-Pierre Marielle est un acteur magnifique.
Sa voix, sa présence, sa légèreté et son instinct du public en ont fait depuis longtemps un des tous grands sur les planches.
N’ayant pas vraiment une gueule de jeune premier, le cinéma l’a longtemps confiné à des seconds rôles de grand gaillard hâbleur dans des comédies plus ou moins réussies.
Yves Montand est la tête d’affiche d’un film de Philippe de Broca en 1969, « Le Diable par la queue », dans lequel une famille de nobles désargentés cherche à relancer leur relais-château.
Hormis le grand Yves, le casting pèse lourd, avec Marthe Keller, Jean Rochefort, Claude Piéplu, Maria Schell et Madeleine Renaud. Personnellement, et je pense ne pas être le seul, le personnage qui m’a marqué est celui de Jean-Jacques Leroy-Martin, interprété par Marielle sans sa moustache.
Un grand escogriffe en cabriolet anglais tombe en panne et se retrouve dans une chambre de l’établissement avec son amante.
Juste après l’amour, il ose la réplique :
« Alors, heureuse ? »
Culte de chez culte !
Imaginez-vous dire ou recevoir ces deux mots…
L’art de dire avec génie des répliques qui sans talent, seraient ridicules ou graveleuses.
Quelques années plus tard, en 75, Joël Séria lui donne le rôle principal d’un peintre alcoolo dans « Les galettes de Pont-Aven ».
La jeune Marie lui fait le cadeau de son anatomie.
Côté pile :
« Oh nom de Dieu quelle merveille, on dirait de la mousse. »
Côté face :
« Ah comme elles sont belles, ah comme elles sont fermes, on dirait des ptites pommes. »
Le tout conclus par :
« Je renais…Je revis…Oh nom de Dieu de bordel de merde. »
Des moments où l’acteur réussit une chose que le poète a ratée.
Et revenons à notre pendu.
Pas facile de parler de sexe sans être vulgaire, ou à coup de métaphores botaniques. Et dans botanique, il y a botte…
Deux ans plus tard, le même Joël Séria offre encore une réplique truculente au grand Jean-Pierre dans son film « Comme la lune » :
« C’est un beau petit morceau hein, elle vaut bien son coup de chevrotine. »
…
Marielle n’avait pas d’égo surdimensionné.
Faire l’acteur était pour lui un métier comme un autre, moins dur que d’autres.
Il vivait avec légèreté et autodérision, et se sentait plus dans son registre dans des rôles d’hommes fragiles ou blessés.
A l’image d’un Galabru ou d’un Daniel Auteuil, il est souvent resté cantonné à un certain type de personnages.
Il a tourné moins de nanars qu’eux, mais le cinéma l’a longtemps catalogué dans une case de matamore hâbleur.
Comme eux, la critique ne l’a pas épargné, jusqu’au jour où un metteur en scène a osé quelque chose de nouveau, le film qui a changé leur destin.
« Jean de Florette » pour l’un, « l’Eté meurtrier pour l’autre », c’est Alain Corneau qui lui offre le rôle de Monsieur de Sainte-Colombe dans « Tous les matins du monde ».
Quelques mois plus tard, rebelote avec Jean-Claude Carrière dans « La controverse de Valladolid ».
C’est l’éternelle confusion de la cause et de la conséquence.
A partir de là, Marielle est entré dans la cour des grands.
Un peu comme Coluche après « Tchao Pantin » et Chevallier Laspalès avec « Ma femme s’appelle Maurice », qui depuis se gavent avec la Matmut.
Comme si le charisme qu’on lui prête dorénavant n’existait pas avant.
Entendre ceux qui le crépissaient dans les années 80 dire qu’il est génial est un délicieux moment d’escroquerie et de flagornerie.
La bande du Conservatoire n’en n’est plus une.
Jean-Pierre est parti rejoindre Claude, Jean et Bruno.
Bebel est une bande de potes à lui tout seul.
Renaud n’a toujours pas retrouvé sa voix.
On espère juste rire encore longtemps des spectacles de Chevallier Laspalès, qui je crois, passent à Melun en novembre prochain.
D’ici là, j’espère bien mettre quelques coups de chevrotine, qui je l’espère, rendront ma nana heureuse.