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HIBERNATUS


Le miracle dura une bonne heure, mais Clément se planta d’un coup, que personne n’avait vu venir.

Ses yeux étaient rouges et exorbités. Il n’en pouvait plus et ça se voyait.

- Putain, j’en ai plein le cul !

Parler comme ça n’était pas trop dans ses habitudes. Galzen, sans comprendre le français, sentait bien qu’on était dans le dur plus que dans la rigolade. Il devait rester deux kilomètres, et il savait que si son client ne se remettait pas rapidement en route, il ne repartirait jamais.

Pendant qu’Isabelle lui donnait à boire, Gilbert discuta deux minutes avec le guide puis rejoint ses amis.

- Si tu veux, il se propose d’aller chercher Kishor, de revenir avec le matos et de camper ici. Ça devrait prendre moins de deux heures.

- Génial, surtout qu’il a dû monter les tentes et lancer le feu.

- En soi, c’est pas trop grave, par contre ça veut dire qu’on ne fait pas le Yala demain, ou alors, il faudra se lever à trois heures du mat.

- Je suis vraiment un gros boulet.

- Tu connais l’histoire des deux belges ?

- Non.

- Ils veulent traverser un détroit de 800 mètres à la nage. Un des deux galère à partir de la moitié, mais s’accroche encouragé par son pote. Arrivé à 100 mètres du rivage, n’en pouvant plus – C’est trop dur, j’y arriverai pas, je fais demi-tour–

- Ah oui je la connaissais, mais chez nous on la fait avec des français.

- Pourquoi tant de haine ?

- En plus, lui il ne peut pas s’arrêter, sinon c’est le bouillon.

Isabelle porta le coup de grâce.

- Allez mon biquet on repart. Pendant 30 minutes, on fait dix pas, et on se repose trois secondes, ainsi de suite. Ensuite, on enlève un pas toutes les dix minutes. Si on arrive à cinq, on rajoutera une seconde de récup…

A peine le temps de terminer, Clément était en marche et semblait concentré sur son petit décompte. Sans réfléchir, il avait fait sien ce petit projet tout bête, et avait mobilisé le peu de ressources qui lui restaient.

Elle croisa le regard de Gilbert.

- Une fois rentrés, on pourra monter un cabinet de psychologues, on devrait s’en mettre plein les poches.

- Oui mais où ?

- A Quiévrain, juste sur la frontière.

Après une première demi-heure nickel, le Belge se mit à compter tout haut.

- Un, deux, trois…

Et il repartait.

Quelques minutes plus tard, Il comptait ses pas.

D’un geste, Galzen montra discrètement aux autres qu’il restait environ 500 mètres.

Il décida de joindre sa voix nasillarde à celle de son client qui en sourit timidement, sans lever son nez de ses pieds.

Puis tout le monde s’y mit, reprenant en chœur.

- Un, deux, trois, quatre cinq, six, un- deux- trois, un, deux, trois, quatre, cinq…

Ils formaient une petite troupe bien singulière. Quatre silhouettes minuscules dans la neige, à 4500 mètres d’altitude qui criaient de plus en plus fort, bientôt à tue-tête.

Loufoque, à la limite du ridicule.

Le Yéti lui-même devait observer la scène avec un étonnement qui lui coupait l’appétit.

La piste, toujours aussi pentue, tournait sur la gauche.

D’un coup, une furie surgit du flanc de la montagne et se précipita sur eux.

L’abominable homme des neiges arracha des cris de peurs aux deux touristes de sexe masculin.

- Kishor !

Surpris par les cris qu’il entendait, le porteur s’était précipité, pour leur porter secours. Il avait même son gros coupe-coupe à la main.

La bonne nouvelle, hormis de ne pas finir déchiqueté, c’est que le camp ne devait plus être bien loin.

Les derniers hectomètres furent une formalité, mais la satisfaction, quoi que légitime, fut de courte durée. Il n’y eu pas d’effusion, encore moins d’embrassades, une sorte de conseil fut convoqué à peine arrivés.

Ils s’installèrent tous les quatre autour des pierres où brûlerait le feu, quand le Yéti d'opérette reviendrait les bras chargés de bois.

Très rapidement, Clément pris la parole d’un ton qui ne laissait aucun doute : le jeune homme affable avait décidé de mener la barque.

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