A l’ancienne, même si on n’avait pas la chance d’entrer dans la Fonction Publique, il n’était pas rare de faire toute sa carrière dans la même boite.
Et j’ai l’impression qu’il en est de même pour la radio.
Par exemple, certains écoutent RTL depuis toujours. Je connais assez intimement deux retraités qui ont bloqué la recherche des stations sur 87.8. Autrement dit, ils écoutent France Inter depuis 60 ans.
Mais tout fout le camp.
De nos jours, on vit souvent une vie de débauche et d’errance radiophonique.
Flash-back années 80.
Une baignoire pleine d’eau chaude, le dimanche soir à 20H00, bien enfermé dans la salle de bains. Stade 2 est fini, plus rouge que jamais, Robert Chapatte vient de nous donner rendez-vous la semaine suivante pour la grand-messe nationale. Un œuf à la coque, des mouillettes, le lendemain matin la vie reprendra ses droits, plus trépidante que jamais. L’eau fume, presque brûlante. La vapeur a envahi les lieux, presque un sauna.
France Inter, grandes ondes, la FM arrivera plus tard.
La météo marine, essentielle en région parisienne.
A tout moment, je peux prendre mon Pen Duick VI pour aller le lundi matin au Lycée. Du coup les nanas regarderont peut-être un peu moins tous crétins en Peugeot 103.
Mer belle à peu agitée. Vent Ouest-Sud-Ouest de 25 nœuds. Une houle de Nord-Ouest de deux mètres, grossissant à deux mètres quarante en fin de matinée…
Et puis un journal de 20H00 famélique avant les notes guillerettes et virtuoses du piano de Barenboïm.
François-Régis Bastide peut démarrer son émission, le Masque et la Plume.
Des critiques de cinéma qui s’étripent, des spectateurs qui s’expriment, les envolées lyriques pleuvaient comme à Gravelotte.
Une heure de bonheur, pendant laquelle il était essentiel de remettre plusieurs fois de l’eau chaude.
La radio qui berce une fin d’adolescence moins boutonneuse que prévue. Et en plus, Pierre Desproges, l’idole absolue, vient tous les jours sur les ondes avec son complice Luis Rego pour le « Tribunal des flagrants délires ».
« Françaises, Français, Belges, Belges, public chéri, mon amour,… »
Génial, marrant, transgressif, cette émission a marqué ma vie.
Une vie parfois cruelle, entre errance et trahison, des années de zapping sans fidélité marquée.
Et puis, à défaut du contraire, Brigitte est entrée dans ma vie, au début du troisième millénaire.
Si Canal Plus m’a permis de la voir répondre aux questions basiques de Richard, Alban, Jean-Pierre et les autres, RMC lui a donné l’antenne deux heures par jour dans « Lahaie, l’amour et vous ».
Obscur objet du désir, fantasme des années 80, cette femme s’est montrée d’une intelligence, d’une finesse d’écoute et d’analyse hors du commun.
A défaut de l’avoir été pour ses prestations cinématographiques, je dois avouer que je suis devenu un fan de son talk-show radio.
Moscato, les Grandes-gueules, les émissions de foot, mon radio réveil a fini par rester bloqué sur 103.1.
Ne passant pas ma vie au lit, j’ai fait pareil avec le poste de la cuisine.
Brigitte nous a quittés en 2016 et je n’ai pas osé la suivre sur Sud Radio.
Pas par conviction, mais surtout parce que je ne sais toujours pas comment passer d’une fréquence sélectionnée à une fréquence enregistrée.
Hasard ou nécessité, on est peu de chose…
Comme d’autres avant lui, Daniel Riolo est entré dans ma vie.
Moins drôle que Pierre, moins psychologue que Brigitte, mais il m’a séduit, en tout bien tout honneur je vous rassure. Et trente ans après le multiplex de Jacques Vandroux, je suis devenu accroc de l’After, une des émissions de la chaîne.
Il y a de très belles émissions ailleurs, j’en ai parfois entendu, mais je ne sais trop pourquoi, ce mec a réussi à m’embarquer dans sa crémerie.
Comme dans beaucoup de domaines, les problèmes sont souvent dans l’excès, le manque de discernement.
Alors qu’il me suffirait de programmer d’autres stations, je me réveille presque chaque jour avec Jean-Jacques Bourdin.
Ça suffit, il faut réagir !
D’abord se reprendre en mains et éviter de glisser dans une vie contemplative, digne des anciens qui écoutaient la TSF à longueur de journée, entre un numéro du Pèlerin magazine et un épisode de L’Homme du Picardie.
Redonner une dimension trépidante à l’existence, avec des réveils parfois plus dynamiques ou crapuleux que pouvaient l’être ceux de nos grands-parents.
Ensuite, faire définitivement son entrée dans le XXIe siècle.
Il est temps de ramener son Minitel au bureau de Poste, apprendre à faire un tableau Excel et à régler son radioréveil.
Ce n’est pas parce qu’on s’endort avec Daniel, qu’il faut se réveiller avec Jean-Jacques.
Et pas seulement pour des raisons d’entrée dans le monde de la haute technologie.
On peut considérer comme salutaire de sortir de l’influence pernicieuse de Radio-France, Télérama et d’une certaine bien-pensance culturelle et politique.
Se libérer de cet ancrage, sans tomber corps et âme dans les filets de l’ultra-libéralisme.
Le taulier de Bourdin Direct passe son temps à clamer son indépendance, ni droite, ni gauche. Et malgré quelques affichettes collées dans sa jeunesse pour un Tixier-Vignancour, plus proche de l’Algérie française que du Marxisme, il est difficile de décoder quelque sympathie politique chez le cévenol.
Dénoncer la langue de bois, tout faire pour piéger ses invités, cracher sa haine et son venin sur une catégorie de personnes est un jeu très orienté. Une sorte de laïcité sans cesse revendiquée, mais qui finit par devenir plus intégriste que les VRP de certaines chapelles.
La ficelle devient trop grosse, pas assez subtile.
Rien n’empêche quiconque d’engranger les patates et de rester sensible à la misère du peuple, là n’est pas le problème. Gagner de l’oseille n’est pas un crime, surtout si on fait de l’audience.
Mais en fait, on assiste là au fameux serpent qui se mord la queue.
Entretenir un certain populisme, l’encourager, lui donner la parole sans trop de recul, la conforter. S’en autoproclamer le porte-parole, une sorte de rempart contre les puissants qui nous gouvernent, lui permet en retour d’entretenir cette audience.
Le jeu est assez facile et dangereux, mais après-tout, il n’est pas le seul à y jouer. On peut penser que permettre au peuple de témoigner de ses souffrances est plutôt une chose salutaire.
Mais là comme ailleurs, le problème vient du manque de nuance.
Le gonze parle de lui à la troisième personne, nous annonce qu’il défendra la liberté jusqu’à sa mort et qu’à l’antenne, à part lui, il n’y a ni Dieu ni Maître.
Jamais il ne s’abaissera à se déplacer pour Sarkozy, Hollande ou Macron, si ces messieurs veulent avoir le privilège de ses questions, ils n’ont qu’à se déplacer dans « son » studio.
L’égal des Présidents, peut-être plus encore…
A la limite, un léger manque de discernement et d’humilité.
Après tout, on a bien vu des journalistes sportifs devenir Président d’un grand club de foot.
Mais JJ, même s’il kiffe le ballon rond, voit encore plus grand.
Depuis des semaines et le mouvement des gilets jaunes, il s’est mis en tête de révolutionner la démocratie.
Aux marcheurs le grand débat, à lui la grande consultation citoyenne.
Depuis début janvier, il a fait recueillir toutes les propositions d’auditeurs pour en sélectionner 30, avant d’aller les déposer lui-même sur le bureau de Manu !
Invraisemblable.
Ridicule.
Attention l’ami, tu as pris le melon.
Je suis un gars tolérant, mais là, tu en fais un peu trop.
Et j’ai pris une décision.
Je vais apprendre à mieux maîtriser mon radio-réveil.
Daniel continuera à me bercer quand je m’endors, mais fini ta voix nicotineuse au réveil.
Et juste un truc, pour le moment, Bourdieu arrive encore avant toi sur Google…