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CONCORDE


Tout le monde fait du sport, en chambre comme ailleurs…

Jadis l’adolescent boutonneux feuilletait fiévreusement le catalogue de La Redoute, de nos jours le sportif fait souvent ses courses sur la toile.

S’il est difficile d’aller choisir ses chaussures de foot chez Bricorama, rien n’empêche un apprenti maçon d’aller voir sur le net si Nike fait des chaussures de sécurité.

C’est la magie du numérique.

Un jeune afghan, pour peu qu’il ait un minimum de connexion, peut s’évader et rêver un peu à des jours meilleurs en cliquant sur des pompes à 210 €, livraison non comprise.

Il peut choisir la taille, la couleur, et même en commander plusieurs paires.

Il crée son compte client.

Nom, prénom…

Adresse, au 3 boulevard Ben Laden à Kaboul.

Après tout, il y a bien un boulevard Lénine à Ivry sur Seine…Et même une rue Staline à Essômes-sur-Marne, dans l’Aisne.

Tout va bien jusqu’à l’étape fatidique, celle où il va falloir payer.

Il faut une carte bancaire.

Accessoirement avec sur son compte, une somme qu’il aura du mal à gagner en six mois, sauf s’il se met un peu au régime.

Ça ne peut pas lui faire de mal.

M. et Mme. P. sont deux retraités heureux et en pleine santé.

En ce bel après-midi de printemps, ils ont décidé de laisser leur pavillon de banlieue pour aller à la Capitale.

Pas question de prendre la voiture, Maurice n’y voit plus très bien.

En plus, cette magnifique carte Vermeil leur donne une belle réduction sur les transports.

- A ton avis, c’est quelle ligne de métro pour Concorde ?

- Je ne sais plus ma chérie.

- Tu as la mémoire qui flanche, tu commences vraiment à perdre la boule.

- Heureusement que côté prostate….

- Maurice !

- Je regarderais bien sur mon plan RATP, mais même avec mes lunettes, j’arrive pas à lire.

- Alors surfons sur internet.

Monique allume son ordinateur, et vingt minutes plus tard, elle est sur Google et tape Concorde.

Malgré ses puissantes loupes, ses doigts arthrosés ratent la place et l’avion.

Quelques secondes après, la sémillante octogénaire se retrouve sur un site d’articles érotiques.

Les aléas de son début de Parkinson lui évitent la lingerie, les canards, les menottes et ce gode écolo en bois d’olivier.

Mais pas la boule rouge.

Celle avec la lanière en cuir, que certains plaisantins se mettent dans la bouche.

Autant vous dire que Monique a été profondément choquée et que Maurice n’est pas passé loin de l’AVC.

Le soir même, les discussions vont bon train lors du 1000 bornes mensuel à la salle municipale Maurice Baquet.

Difficile de retranscrire ces dialogues endiablés, mais au final, chacun se positionne entre la liberté de disposer de son corps et l’avilissement.

On assiste dans un premier temps à une levée de boucliers des chevaliers de l’ordre moral, puis certains partisans de la liberté individuelle finissent par prendre la parole.

Certains invoquent l’ironie du sort.

Avoir lutté comme ils l’ont fait pour leur libre choix et constater que quelques décennies plus tard, il est d’actualité de les en priver.

Les plus modérés ont recours à l’argument de la loi.

On ne peut remettre en cause une pratique qui n’est pas interdite par la loi.

Non seulement dans la sphère privée chacun est libre de faire ce qu’il veut, mais rien ne vous empêche de vous balader dans la rue tenu en laisse avec une boule dans la bouche.

Après tout, personne ne trouve à redire à ces millions de chiens qui subissent le même sort. Pour les molosses un peu agressifs ou dangereux, il suffit de leur mettre une muselière.

A. est l’heureux propriétaire d’une épicerie-bazar en centre-ville qui n’a pas attendu les gilets jaunes pour mal se porter. C’est un malin, avec très certainement des origines moyennement catholiques. Il écoute, tapi dans l’ombre, et ne participe pas au débat.

Dès qu’il rentre à la maison, sa décision est prise.

- Geneviève, on va redevenir riche.

- Beau-papa nous a quittés ?

- Non, on va vendre des boules rouges.

Cette charmante bourgade d’ordinaire si calme se retrouve bientôt avec ces articles en vente en bonne place dans la vitrine. Un morceau de latex rouge et sa lanière, accessoire tout autant banal que connoté.

Jusque-là il quittait rarement la chambre à coucher, et certains lieux où se retrouvent parfois les adeptes des environs.

Au bout de quelques jours, alors que rien dans cette histoire n’est contraire à la loi, la ville entre en ébullition.

Alors que ceux qui se reconnaissent dans cette pratique sont largement minoritaires, tout le monde ne parle que de ça. Les pour et les contre finiront même par s’insulter, des bagarres éclatent …

Toute ressemblance avec la mise en vente d’un morceau d’étoffe par une enseigne de grande distribution sportive serait purement fortuite.

Mais ce qui est remarquable, ce n’est pas l’intensité et la violence du débat que cette vente a provoqué.

Devant ce buzz, A. s’est frotté les mains en constatant la pub gratuite que cette affaire avait provoquée. Avec la perspective toujours réjouissante de s’en mettre plein la caisse.

Mais l’affaire est allée trop loin, presque jusqu’à la guérilla urbaine.

Devant les menaces, certaines de mort, qui ont affluées, A. a du faire machine arrière et retirer l’article de la vente.

Toute fable a sa morale.

Celle-ci n’a rien à voir avec la liberté individuelle.

Ou avec la tolérance qui fond comme peau de chagrin.

Les lois ont beau être faites pour le bien commun, il devient presque banal de se plier à quelques dictats.

Pour vendre bien, vendons câchés.

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