Il n’y eu pas plus de croissant ou de confiture de fraise que d’habitude, ce qui n’empêcha pas ce petit monde de se jeter comme des morfales sur les gâteaux secs.
On était bien loin des petits dèj que les deux belges prenaient à Namur. Souvent au milieu de l’après-midi après avoir trainé au lit. Ça tombait bien, la meilleure boulangerie de la ville était au coin de la rue. Elle rouvrait vers quinze heures, avec sur les présentoirs le pain qui fumait encore. Y entrer le ventre vide, sentir cette odeur et la chaleur du fournil était dangereux pour votre portefeuille.
Clément faisait un carnage.
Il ressortait à chaque fois les bras débordants de sachets blancs pleins de croissants, de brioches et de baguettes. Bien blanches, comme sa chérie et lui-même les appréciaient. Jamais il n’aurait pu aimer quelqu’un qui voulait du pain bien cuit.
Une faute de goût rédhibitoire, pire que si elle avait eu une haleine de trappeur.
Il rentrait vite, posait son barda sur le palier et faisait un tour dans le jardin pour cueillir quelques fleurs, un rameau selon la saison.
Quelques minutes plus tard, la cafetière sifflait, l’odeur de café montait les escaliers et venait chatouiller les narines d’Isabelle.
Quand elle débarquait dans l’immense cuisine, la table était dressée, un festin l’attendait.
Une farandole boulangère, avec la plupart du temps ses œufs brouillés au lard et sa touche fromagère. Selon les saisons, quelques fruits rouges ou une orange pressée s’invitaient à la table.
Parfois aux beaux jours, ils s’installaient dans le jardin.
Il était difficile de ranger la jeune femme dans la catégorie des grandes sentimentales.
Mais toutes ces attentions la touchaient.
Beaucoup.
Gilbert, n’avait quant à lui jamais partagé ce moment.
Cet instant de pause, le jour d’après.
Quand tout recommence, quand la lumière inonde.
Là où l’amour se construit, où l’avenir se décide.
Rentrer chez soi, se revoir, un prochain soir.
Rester ensemble, ne plus se quitter.
Une petite heure plus tard, ils étaient en route.
Tout se jouerait sur le rythme de marche.
Pour Isabelle, pas de problème, elle aurait pu grimper là-haut à cloche-pied. Gilbert sentait bien qu’en répartissant un peu mieux son effort, il laverait l’affront de son dernier échec. Partir moins vite, marcher plus régulièrement en se concentrant sur la respiration.
Et surtout, cette fois, il était sûr de lui.
L’affaire s’avérait plus aléatoire pour Clément.
Son côté athlétique n’était pas ce qui sautait immédiatement aux yeux. Ni d’ailleurs après un examen plus poussé. Pour couronner le tout, il n’était là que depuis trois jours, ce qui ne semblait pas constituer une acclimatation digne de ce nom.
L’ours des Ardennes devrait y aller au mental, et se dépasser comme jamais.
Ne pas partir trop vite.
Ni trop lentement, le temps perdu ne se rattrape jamais.
L’extrême difficulté de l’exercice était de trouver un rythme qui convienne aux deux garçons. Et si ça se trouve, ce rythme idéal n’existait pas.
On le saurait plus tard, si un des deux explosait.
- Bon ça y est, on est parti les amis.
- Ne parle pas mon chéri, économise la moindre force.
- Chut, fais comme moi, ferme-la !
- Tu vois tu parles là.
Une fois de plus, Galzen siffla la fin de la récré.
- The less you talk, the better it is.
En d’autres circonstances, ils auraient pu penser que ce gars les saoulait, véritable machine à distiller des conseils. Leurs parents eux-mêmes ne leur en n’avaient pas donné autant.
Mais la confiance et le respect qu’ils éprouvaient pour le guide étaient tels qu’ils se seraient jetés dans le vide s’il leur avait demandé.
Alors ils marchèrent.
Un pied devant l’autre.
Avec dans la tête des pensées positives, comme pour reculer au maximum l’instant où la fatigue les frapperait.