Le village n’en était pas un.
C'était plus un hameau de quelques âmes perché au bout de la vallée du Langtang, point de départ de diverses ascensions.
Kyanjin Gompa, son monastère, sa bergerie et son environnement granitique. Pour la plage et le casino, mieux valait s’offrir un petit séjour à La Baule.
Regarder ces quelques habitations perdues entre des pierres et quelques plaques d’herbe rase pouvait donner une impression plus post nucléaire que pastorale.
Les loungta, guirlandes de petits morceaux de tissu multicolores, ajoutaient une touche de lendemain de baloche du quatorze juillet. Elles bougeaient au gré du vent qui les caressait, censé disperser les formules sacrées inscrites dessus…
Mais lever le regard vous faisait changer de dimension.
Des pentes escarpées et brunâtres formaient une cuvette tout autour. Et puis c’était au tour des sommets enneigés qui se dessinaient entre cette bande sombre et ce ciel d’un bleu inconnu en Europe.
Les montagnes népalaises formaient un premier plan que prolongeaient leurs sœurs tibétaines.
Malgré la densité, la visibilité était telle qu’on pouvait suivre chaque crête avec précision, et très vite passer à une autre. Il était facile de détailler chaque nervure qui descendait de tous les pics, chaque vallée, chaque glacier.
Des 6000, des 7000 comme s’il en pleuvait, avec des 8000 invités à ce bal grandiose. La frontière chinoise n'était qu’à quelques kilomètres, le toit du monde était tout proche.
Majestueux, gigantesque et pourtant si près d’eux.
Les Alpes de Gilbert faisaient figure de nains de jardin, sa chère Dent d’Oche était de lait.
Et que dire des Ardennes, ridicules collines qui essayaient tant bien que mal de rompre la monotonie du Plat Pays !
Bien calés sur les rochers les plus accueillants qui soient, ils restèrent deux bonnes heures à admirer le tableau.
Une véritable contemplation, avec le sentiment de devoir en profiter. Aucun des trois ne savait s’il y aurait une deuxième fois.
Ils vivaient une expérience personnelle assez proche de la méditation.
Faire partie d’un tout, sortir de son corps et ressentir une harmonie qui vous dépasse de beaucoup.
Esther était là, quelque part.
Elle aussi était une partie de ce tout.
Elle aurait pu tout aussi bien poser sa chevelure brune sur son épaule.
Certes il en rêvait, tant le tableau eût été idyllique.
Tous les deux ici, collés l’un à l’autre pour partager cet instant d’embellie.
Il ne sombra pas dans une quelconque mélancolie, bien protégé par cette conscience totale des choses. Ça n’était ni le lieu ni le moment de se laisser gagner par une émotion négative, ni d’endosser un costume d’amoureux transi, ou pire encore, trahi par celle qu’il aime.
Ceci étant, il ne put faire autrement que de faire un serment.
Celui de partager sa vie.
C’est le retour de Galzen et Kishor qui mit un terme à cette méditation. Sans eux, ils y auraient peut-être passé la journée.
- How are you ?
- Fine and you ?
- Everything is ok.
- Météo?
- Yes and Virudhaka is now looking after you.
- Not after you?
- You are wright, after us.
Pas nécessaire d’être bouddhiste pour mériter la protection d’une divinité.
Si seulement les adeptes de toute religion pouvaient croire autant en cela qu’en leur Dieu !
Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Si le Gardien local des Directions et la météo unissaient leurs efforts, le Yala serait une promenade de santé.
Une grimpette à peine plus difficile que celle du Signal de Botrange…