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AVERTISSEMENT CONDUITE. ( SAISON 1 )

S. s’y connait pas trop mal en fins de mois difficiles.

Et même en moitiés…

Le Noël qui vient a peu de chances d’échapper à la règle. Il est bien placé pour comprendre la colère qui a poussé certains à enfiler le gilet jaune. Pas de nature à le pousser à passer ses weekends autour d’un brasero, sur un splendide rond-point d’accès à l’A86.

Un peu rustre comme BBQ.

Mais surtout, il se refuse à voir en quiconque, fut-il Président, l’unique responsable du trou dans son portefeuille. Pas mal de choses résultent de choix qu’il a faits, il lui semblerait malhonnête de se complaire en victime.

Une victime qui ne peut exister sans son persécuteur.

Strasbourg est une ville magnifique.

L’Ill s’y divise en cinq bras, sur les rives desquelles s’est bâtie la Petite France, le plus célèbre des quartiers de la capitale alsacienne. Un régal été comme hiver, de jour comme de nuit.

Cette année, sa nana et lui ont décidé de se faire un petit plaisir.

Deux jours de congé, direction l’autoroute A4, et hop, à eux le fameux marché de Noël. Pas vraiment raisonnable, mais bon, les taxes sur le diesel ont été annulées.

Ils vivront d’amour et de choucroute.

Liberté, Egalité, Fraternité.

Tous les petits français passent sur les bancs de l’Ecole.

Le E majuscule n’est pas là pour exprimer un respect immodéré pour l’institution, mais pour dire qu’on englobe la crèche, le primaire, le collège et le lycée dans l’Ecole.

Ne soyons pas naïfs, contrairement à ce qu’on entend, il n’a pas été décidé au départ d’instruire et d’éduquer le peuple pour son bien-être et son développement personnel.

Imaginez un peu un pays où tout le monde serait ingénieur, médecin ou professeur agrégé !

L’école s’est construite avec pour objectif principal de reproduire le modèle imposé par la révolution industrielle.

Une vision mécanique d’une société qui ne peut fonctionner que si les rouages sont bien huilés, chacun à sa place.

Des élites qui pensent et qui commandent.

Des ouvriers et des employés qui exécutent ce qu’on leur demande de faire, avec discipline et précision. Au menu, des connaissances de base qui suffisent largement à vivre décemment.

C’est depuis la nuit des temps modernes, le contrat social qu’on propose à la jeunesse :

« Si tu étudies sérieusement, tu auras un travail qui te permettra de vivre, nourrir ta famille, partir en vacances, te loger et te soigner. Et payer ta concession perpétuelle au Père Lachaise pour la modique somme de 15837 € les 2 mètres carrés… »

Avec l’ascenseur social comme cerise d’un gâteau dont on partage parfois quelques parts. Ceux qui faisaient de brillantes études pouvaient espérer faire carrière, et quitter les barres douillettes de leur charmante cité pour un duplex dans le marais.

Ce modèle, s’il est à peine caricaturé, a été et reste celui de l’école.

Un maître sur son estrade qui transmet son savoir à des élèves qui doivent s’y soumettre.

Une école de la soumission, où on évalue l’adéquation à un modèle.

Celui du bon élève, sérieux et discipliné.

Celui qui est encore très présent dans les mentalités de ceux qui enseignent, même aujourd’hui.

Il suffit de lire un bulletin trimestriel pour s’apercevoir que les valeurs en cours sont toujours l’effort, le travail et la discipline.

Les notes sont une mesure de l’écart à une norme.

Tout ce qui s’en éloigne est irrecevable, quitte parfois à passer à côté de certaines qualités ou aptitudes.

Fut un temps, les instituteurs étaient des soldats de la République qui avaient pour mission de combattre l’ignorance. Une vision qui par ailleurs donnait un sens à leur métier.

Profs et élèves ne sont plus sur la même longueur d’onde.

Plus du tout.

Pire, ils ne vivent plus dans le même monde.

C. a quitté l’école à seize ans, comme la loi l’y autorise.

C’est sûrement une des seules fois où il l’a respectée.

C’était un enfant agité, rebelle et violent, vivant avec ses onze frères et sœurs dans une famille qu’on qualifie d’« à problème ».

Dès le début de l’adolescence, il plonge inexorablement dans la délinquance.

Son casier judiciaire est plus brillant que son livret scolaire, avec à trente ans, 67 antécédents judiciaires, dont 27 condamnations en France, en Allemagne et en Suisse.

Au menu, outrages, vols, agressions et destructions qui l’amènent à enchaîner les séjours au placard. Quatre ans en tout dans ces trois pays.

Si l’école n’a pas réussi à l’éduquer, la prison va elle, réussir à le radicaliser.

Comme 20 000 fichés S, il se revendique maintenant d’une idéologie djihadiste.

Comme les plus inquiétants d’entre eux, il est directement surveillé par la DGSI , la Sécurité intérieure.

S. et C. auraient pu avoir mille bonnes raisons de se croiser ce mardi 11 décembre au marché de Noël à Strasbourg. Juste se croiser. Peut-être échanger un regard, des paroles. Mais pas une bastos.

Une mauvaise raison.

Le hasard vous fait parfois faire de mauvaises rencontres, et on ne peut pas dire que celle-ci fut fameuse. Surtout pour S. qui n’avait pas plus de gilet pare-balle que de version jaune. Ceux qui tentent désespérément de rendre sa fin de mois moins mortelle que difficile ont des blouses blanches.

Ses yeux sont clos, il ne peut pas les voir.

Mais les choses ne sont-elles pas plus écrites qu’on veut bien le penser ?

Pas une prédestination qui aurait poussé irrémédiablement ces deux hommes vers une rencontre assez peu positive.

Plus une nécessité sociale.

Le hasard et la nécessité.

Ça me rappelle un titre de livre...

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