Petit, comme dans beaucoup de familles françaises, j’allais passer le jeudi chez mes grands-parents.
Je rassure tout le monde, ma scolarité n’en a pas été perturbée. C’est juste qu’en ces temps immémoriaux, la journée sans école était le lendemain du mercredi.
A cette époque, les anciens n’étaient pas vraiment de fringants compagnons de jeu. Mon Grand-Père était plus enclin à biner son potager qu’à taper un foot avec moi. De toute façon, il n’aurait pas été à la hauteur avec sa canne et sa prothèse de hanche. Ma grand-Mère quant à elle, préférait jouer à la dinette plutôt qu’à Zorro, ou aux cowboys et aux indiens.
Autant dire que les journées étaient moyennement actives, un peu comme dans un épisode de Derrick, ou de l’homme du Picardie. La vie passait lentement, comme l’eau d’un long fleuve tranquille, rythmée par des évènements aussi banals que rituels.
Le déjeuner sur la toile cirée de la table de cuisine.
Des pommes de terre sautées, du soufflé au fromage, une sole sauce beurre et citron, que du bonheur dans l’assiette.
Le bœuf aux carottes, c’était pour le weekend.
Puis la télé, Aujourd’hui Madame, Les Barios, la piste aux étoiles, Pierre et Marc Jolivet s’invitaient dans le petit salon.
La matinée était plus longue.
Pépé se levait péniblement de sa chaise, s’accoudait sur le buffet, sortait son couteau et partageait avec moi un morceau de pain et une rondelle de saucisson. Silencieusement.
Pas bavard le papy.
Le coup de rouge était un plaisir plus solitaire.
Un peu jeune à l’époque, j’ai attendu quelques années pour m’y mettre.
Dommage qu’il ne soit plus là pour trinquer avec moi…
Après le casse-croute, on attaquait le dur, la phase véritablement contemplative de la journée.
Les aiguilles de l’horloge n’étaient pas pressées, surtout la petite.
C’était le moment de feuilleter quelques pages du Pèlerin magazine ou du catalogue de la Redoute, quoique trop jeune pour les coller.
Et puis tous les jours, un peu après 11H, un coup de sonnette familier nous sortait d’une torpeur doucereuse.
- C’est le facteur !
Même pas besoin d’aller ouvrir le portail.
Une main passait à travers les barreaux et venait actionner le verrou.
Un grand escogriffe rentrait son vélo et sortait le courrier de sa belle sacoche en cuir.
- Toc toc, c’est moi.
Il rentrait, saluait tout le monde et venait s’installer sur la table de cuisine.
En deux temps trois mouvements, il avalait un petit jaune, parfois deux.
Les quelques mots échangés avec les deux retraités trahissaient des origines gasconnes que son nez ne démentait pas.
Quel tarin mes amis !
Puis il repartait.
Et s’arrêtait chez les voisins…
J’espère pour lui que son foie a tenu le coup, et qu’il coule une retraite heureuse dans son Sud-ouest natal.
Quelques décennies plus tard, ses collègues ne roulent plus pour les PTT mais pour la Banque Postale, et leur vélo est parfois électrique. Tout fout le camp dans notre beau pays.
Le sémillant Olivier Besancenot a beau les défendre avec vigueur, ses collègues s’arrêtent rarement boire un canon avec leurs clients.
Heu pardon, leurs usagers.
On dirait même qu’appuyer sur la sonnette leur est devenu insupportable.
Personnellement, j’en suis environ à mon dixième avis de lettre recommandée déposé dans ma boite aux lettres alors que j’étais chez moi.
Je vous ferai grâce des sketchs vécus en faisant la queue pour aller chercher un document qui aurait dû m’être remis en main propre.
Enfin presque.
Le temps perdu dans des queues interminables et absurdes, c’est cadeau.
Les premières fois, le guichetier en prenait pour son grade…
Même pas mal.
Toujours cette réponse d’autoprotection, spécialité bottage en touche.
- Ah mais c’est pas nous Monsieur, les recommandés dépendent du Plessis Trévise. Si vous voulez adresser une réclamation, écrivez-leur, ou téléphonez au 3609.
- Mais c’est un numéro surtaxé ?
- Oui Monsieur, 1€35 la minute, mais l’attente dépasse rarement le quart d’heure.
- Ah merci, vous préférez que je reste debout ou je me mets à quatre pattes ?
Le royaume de la réclamation, mais toujours dans un autre service.
Autant dire que maintenant je la ferme, j’essaye juste d’y aller quand il n’y a pas trop de monde. Et quand je suis pris dans la nasse, j’essaye de me marrer un peu en assistant à des scénettes plus ou moins conviviales entre agents et usagers.
Jusqu’au jour où, rentrant subrepticement à la maison d’un match de tennis victorieux, je tombe sur le facteur au moment précis où celui-ci va déposer le courrier.
- Bonjour, si vous voulez, donnez-le-moi.
- Bonjour, tenez.
- Merci. Mais il y a un avis de paquet recommandé, je suis là !
- Oui, mais le paquet était trop gros pour votre boite aux lettres.
A moitié KO. Groggy.
Le temps de me rendre compte à quel point le fonctionnaire surexploité se foutait de moi, il était déjà loin.
Mais comme son nom l’indique, la Poste, c’est aussi une banque.
De laquelle je ne suis pas client, fort heureusement.
Mais je suis dernièrement devenu trésorier de l’association sportive d’un lycée de l’Est parisien.
Désireux de mettre un peu d’ordre dans une situation financière proche du sac de nœuds, je finis par avoir au bout du fil la personne sensée mettre un terme à mes tourments administratifs.
Ma nouvelle Conseillère d’Agence à Distance Entreprises et Associations.
S’il vous plait.
- Ne vous inquiétez pas Monsieur, on va tout reprendre à zéro.
- D’accord.
- Alors comme Présidente j’ai Yvette D.
- Non, ça a changé, maintenant c’est Mme L.
- Et comme trésorier, j’ai Jean-Pierre B.
- Lui aussi est parti, maintenant c’est moi.
- Et j’ai aussi Gérard de Nerval, il est toujours là ?
Véridique, je vous assure.
Si vous croisez Olivier sur son vélo, demandez-lui de poser un préavis de grève pour améliorer la formation des postiers.