1936.
Le Front populaire.
L’Europe et le Monde allaient vivre un épisode moyennement sympathique de leur histoire, tout ça parce que quelques récalcitrants refusèrent qu’un célèbre moustachu n’aille au bout de son projet.
Quel manque d’audace et de romantisme.
Sans ces empêcheurs de tourner en rond, le Rassemblement national serait un parti de gauche et la SNCF ne connaîtrait pas la crise.
Et pour couronner le tout, fini les Kangoo ou les Citroën C2, on roulerait tous en BM ou en Mercos.
Les congés payés.
Des hordes de français à peine titulaires du Certificat d’Etudes envahissent les plages de Normandie ou d’ailleurs.
Des troupes armées d’épuisettes et chaussées de sandalettes en plastique.
Les pauvres crevettes grises s’en souviennent encore.
Enfin pour les rares survivantes, tapies dans des trous d’eau que la marée basse découvre sans aucune pudeur pour ces pauvres crustacés, souvent capturés sans avoir le temps d’enfiler un maillot de bain.
Les plus téméraires vont même jusqu’en Vendée.
Quel manque de classe et d’imagination, alors que la plupart des villas avec piscine des hauteurs de Bandol étaient libres et accessibles à la location pour la modique somme d’un an de salaire, sans compter l’eau de la piscaille.
Heureusement qu’en ces temps lointains et agités une certaine élite veillait.
De brillants professeurs et universitaires, la crème de la Nation, décidèrent de taper du poing sur la table de camping.
Il n’était pas question pour ces humanistes de remettre en cause le droit aux vacances de leurs concitoyens de la classe ouvrière.
Non, et en plus, ils étaient baignés par ses valeurs de gauche en vogue avant la guerre.
Il s’agissait juste de dresser une frontière entre ce qui était vulgaire et le reste.
Un mur de Berlin plus symbolique que maçonné.
En moins haut, moins solide.
Une clôture.
De camping.
Ces chères têtes pensantes se dirent que l’Ecole de la République c’était bien, mais que se mélanger avec la plèbe pendant les vacances, c’était moyen.
Autant bronzer et boire une anisette avec un collègue prof d’histoire, qu’avec un ouvrier de chez Peugeot, avec ses mains calleuses et ses ongles encore plein de cambouis.
Sauf si vous percutez un engin agricole en rentrant de la plage, et que vous n’y connaissez pas grand-chose en mécanique.
Un peu comme le prof de français de la tente à côté, qui lui ne sait même pas ouvrir le capot.
Tout juste utile à vous aider à ne pas faire de faute d’orthographe en remplissant le constat.
1937.
Les GCU étaient nés.
Groupement des campeurs universitaires de France.
Fondé par des membres de l’enseignement public, de la culture et de la recherche.
Une association désireuse de partager les joies du camping, autour des valeurs de laïcité, d’autogestion et de tolérance.
Un programme que le PSU des années 80 ne renierait pas !
Huguette si tu lis ces quelques lignes assise en tailleur devant ta tente Quechua 2 Seconds…
A l’heure où l’individualisme gangrène notre société, les campings GCU sont perçus comme des havres de paix, des lieux protégés où l’amour sera peut-être roi un jour, mais où la solidarité est loi.
Farouchement préservée.
Au sortir de la deuxième guerre mondiale, le PCF flirtait avec les 30 %. L’électorat dit populaire s’est rassemblé en masse dans une autre crèmerie, sous une bannière un peu moins rouge et beaucoup plus bleue.
« Le Parti », comme on disait à l’époque, a du mal à dépasser la barre des 2%. Les Soviets, qu’ils soient suprêmes, d’ouvriers ou de paysans n’ont plus trop le vent en poupe dans la Russie de Vladimir.
Chez nous en France, depuis le regrettable échec de Ségolène aux présidentielles, la démocratie participative a du plomb dans l’aile.
Il ne reste guère que les assemblées de copropriétaires ou les conseils en tout genre en vigueur dans l’Eduction nationale pour que s’exprime la voix du peuple, loin des pressions inadmissibles et de la loi de la jungle du « privé ».
Que vous soyez à l’AG de la résidence Beauregard de Moissy-Cramayel ou de celle des anciens combattants du Larzac ; que vous ayez la chance’honneur d’assister à un conseil de classe, d’enseignement, de discipline, pédagogique ou d’administration du Collège Victor Hugo de Saint-Germain les Corbeil, profitez-en bien.
Les occasions de vivre de tels moments de respiration démocratique sont tellement rares dans ce monde cruel.
Pour les chômeurs ou les allocataires du RSA qui ne sont pas prêts de devenir propriétaires, ou ceux qui n’ont pas le privilège d’être prof, il existe encore un espace en ce bas monde où n’importe qui peut vivre un de ces moments d’exaltation populaire.
Les GCU.
En 1991, malgré l’opposition d’une partie des membres farouchement attachée aux valeurs fondatrices, une véritable révolution va secouer le cocotier.
L’adhésion à la vénérable association est finalement ouverte à des campeurs pas forcément membre de la MAIF, la mutuelle des enseignants.
A condition toutefois d’être parrainé par un campeur universitaire.
Si certains se pavanent avec un ruban à la boutonnière, qu’il soit rouge ou bleu, j’ai dernièrement connu la fierté d’être coopté pour enfin intégrer cette élite.
Non, pas la Légion d’honneur, les GCU.
Et pas seulement pour l’insigne.
Pour la première fois de ma vie trépidante, je suis allé planter ma sardine dans un de ces dizaines de camps, dans le Vaucluse.
Quoique de nature plutôt discrète, mes hôtes ont cru bon de me préciser qu’ici, il ne faut pas faire trop de bruit, qu’il ne faut pas rouler dans le camp après 23H et qu’en aucun cas, il ne faut dépasser les 10 km/h.
Et dire que certains se plaignent d’avoir à se limiter à 80 !
- Mais vous croyez qu’il y a des radars ?
- Arrête un peu de faire du mauvais esprit !
-C’est vrai, mais si un gamin courre à 17 km/h, il sera bon.
-Rapide le gosse.
-Et si Usain Bolt vient en vacances ici ?
A peine le temps de s’enfiler une deuxième anisette qu’un gars vient se présenter.
-Salut les collègues.
-Bonjour.
-Allez les gars rendez-vous dans 20 minutes aux sanitaires.
-Pourquoi, vous êtes malade ? (Pas encore assez intime ou éméché pour lui demander s’il nous propose une partie fine ou un concours de bite).
-Très drôle, si si vraiment. Non c’est bientôt l’heure de l’assemblée de camp.
- L’assemblée de camp, mais ça consiste en quoi exactement ?
-On évoquera les petites règles de vie que chacun doit respecter, on établira une répartition des servitudes et on élira mon remplaçant, le chef de camp de la semaine prochaine.
-Eh bien, quel programme réjouissant !
-Oui, et tout le monde vient, même les enfants. C’est bien de les responsabiliser le plus tôt possible. Et après tout, la corvée de chiottes n’attend pas le nombre des années.
-Certes…
-Et là, dans le landau, il y a quelqu’un ?
-Oui, mon fils de treize mois, il doit venir lui aussi ?
-Oui, bien sûr, s’ils sont plusieurs, on pourra les mettre de corvée de bac à sable.
-Parfait, et ma fille de trois ans pourrait peut-être se mettre en corvée de garderie ?
-Mais c’est pas bête du tout ça, on pourrait soumettre l’idée au conseil d’administration du groupement.
Un léger filet de bave, le front en sueur…
-J’ai dû m’endormir.
-Tu m’étonnes t’as ronflé comme un sanglier.
-Putain, en plus j’ai fait un sale rêve.
-Mon pauvre chéri.
-Allez, on va se rattraper avec un petit BBQ.
- Ah non, c’est interdit depuis deux ans dans les GCU…