J’aimais bien aller dans les buts.
Mais pourquoi cet imparfait me direz-vous, fut-il de l’indicatif ?
La faute aux juniors de Saint-Michel, à moins que ça ne soit Savigny, l’essentiel étant qu’il soit sur Orge.
J’avais tanné mon entraîneur pour qu’il veuille bien me laisser jouer un match comme gardien.
Et au moment où l’arbitre siffle le début de cette rencontre comptant pour le championnat de l’Essonne de handball, me voilà portant un maillot différent de celui de mes coéquipiers, qui eux arborent fièrement les couleurs vertes du SC Draveil. Et un pantalon de jogging sous-lequel une coquille protège une partie essentielle de mon corps d’athlète, sans qui mes enfants ne seraient pas là.
Seul entre une barre et une paire de poteaux.
Seul face à des adversaires moyennement habiles, et visiblement pas vraiment à jeun, ce qui n’arrangeait guère leur déficit de précision.
J’en ai pris plein la gueule, et depuis, j’ai une peur bleue d’y retourner.
D’ailleurs je ne l’ai jamais fait je crois, même face à des gamins de huit ans.
Il faut être fou pour jouer à ce poste.
Une partition individuelle au sein d’un sport collectif.
Où vous êtes seul au monde.
En ce samedi 26 mai, Loris Karius endosse sa tunique bleue, ajuste son chouchou et va devoir garder les buts de la maison rouge. Pas une mince affaire face à Cristiano, Karim et tous les autres venus à Kiev se boire une troisième rasade consécutive de champagne dans cette fameuse coupe.
Celle aux grandes oreilles.
Pour des raisons qui n’intéressent que moi, ce soir-là mon cœur n’est pas de pierre. Il vibrerait même pour Liverpool, malgré ce que ces salauds firent à Saint-Etienne il y a plus de quarante piges. C’est dire si je ne suis pas rancunier.
Et jusqu’à ce magnifique geste technique plein d’humanité de Sergio Ramos sur Mohamed Salah, les Reds dominent et auraient pu ouvrir le score.
Leur capot fume un peu en fin de première mi-temps, mais ils partent aux vestiaires à 0-0.
A la 51e minute, Loris, à ne pas confondre avec Hugo, récupère un ballon qu’il décide de dégager à la main.
Et là, patatras, il le lance pile-poil sur le pied de Benzema qui marque le premier but. Du jamais vu à ce niveau, ni même au tournoi de Brie-Comte-Robert, ou alors après une pause de midi copieusement arrosée.
Quatre minutes plus tard, Mané lave l’affront et remet les compteurs à zéro, avant que Bale ne fasse monter de cinquante patates le montant de son transfert d’un coup de ciseaux fabuleux.
Plus fort que Ronaldo, fantomatique dans cette finale.
Mais le cauchemar ne fait que commencer pour le gardien allemand de Liverpool.
A la 83e, le gallois tente une frappe lointaine, le ballon flotte mais arrive pile dans les gants de Karius qui se troue complètement. Deuxième but casquette, le tout devant des centaines de millions de téléspectateurs qui s’étouffent en avalant leur gorgée de bière.
Oliver Kahn, gardien de légende du Bayern :
« C’est une soirée qui peut détruire une carrière. Il faut beaucoup de temps pour sortir ça de sa tête. En tant que gardien de but, c’était difficile à regarder. »
Ray Clémence, ancien portier des Reds, trois fois vainqueur de la compétition :
« Quand vous commettez des erreurs dans un match de cette importance, elles vous hantent pour le reste de votre vie. »
Pas de quoi faire sombrer dans la colère ou la haine ma voisine de comptoir, pourtant fan absolue des anglais. Elle m’explique que ses coéquipiers sont aussi fautifs que lui, que s’ils avaient marqué quatre buts, on ne parlerait pas de ces bourdes. Une analyse sportive aussi lucide que personnelle que pourtant je n’ai pas osé contredire.
Il faut dire qu’elle était charmante.
Et même pire.
Quelques heures plus tôt, la balle est plus petite.
Un peu plus à l’ouest, dans la Lanxess Aréna de Cologne, Paris et Nantes se disputent le droit d’accéder eux-aussi à la finale de la Ligue des Champions, de handball cette fois.
Thierry Omeyer, Titi pour les milliers d’intimes qui crient souvent son nom, a fait basculer tant de matchs par un ou plusieurs arrêts décisifs qu’on ne les compte plus.
Rodrigo Corrales a aussi du cœur, et accessoirement il est champion d’Europe en titre avec l’Espagne.
Mais les deux compères ne pèseront pas suffisamment sur ce match. Pas cette fois.
C’est le grand Cyril Dumoulin, le Nantais qui le fera.
Avec 11 arrêts, dont certains décisifs.
Le lendemain en finale, c’est Montpellier qui se présente, avec Vincent Gérard dans les buts. Le nouveau Omeyer, le nouveau gardien du temple.
Comme tous ses collègues, c’est un gars singulier.
Quelques jours avant il a quasiment perdu le titre national avec son club et s’est permis une sortie médiatique assez dure mais néanmoins lucide contre l’arbitrage en France.
Mais c’est un revanchard, resté assez longtemps dans l’ombre de Titi.
Il est devenu le taulier en Bleu, champion du monde capable à lui tout seul de dégouter l’équipe adverse par une série d’arrêts invraisemblables.
Au-delà de ses douze parades face à Nantes, contre sept pour Dumoulin, au-delà des performances majeures de certains de ses coéquipiers, c’est lui qui fera pencher la balance.
Et de deux ligues des champions pour Montpellier !
Magnifique, récompense fabuleuse pour le travail de Patrice Canayer et de tous ceux qu’il a entrainé dans son sillage doré.
Mais pas de cerise sur le gâteau sans facteur X.
Sans foutraque qui décide que le ballon s’arrêtera sur lui et n’ira jamais dans les filets.
J’aime le hand, mais je crois de plus en plus que ce sont les gardiens qui font la différence.
Nous sommes en 2039 à La Havane.
Un homme, chauve, qui a dépassé le quintal depuis longtemps a le regard un peu vide de ceux qui fuient quelque chose.
Ou qui le cherchent au fond d’une bouteille.
Il commande un mojito.
Visiblement pas le premier.
Ni le dernier.
Le barman prépare son cocktail avec dextérité.
- Voilà Monsieur.
- Merci.
- Mais je vous reconnais.
- Ah bon, vous êtes sûr ?
- Oui vous êtes celui qui a fait les deux erreurs en finale !
- Vous devez vous tromper…
L’homme avale son verre.
Il change de bar et en boira quelques autres.