Dans une vie antérieure, à la toute fin du siècle, j’ai bien connu quelqu’un qui était à la tête d’une équipe professionnelle, dans un sport qui se joue avec une balle.
Mais plus avec la main, même pour ceux qui jouent comme des pieds.
A la fin d’une première saison qui ne restera pas impérissable, il avait été décidé de ne pas garder un joueur dont le contrat se finissait.
Je n’aurai pas le toupet de vouloir faire passer ce bon ami pour un symbole de droiture et d’honnêteté, tant sa vie n’est pas un long fleuve tranquille.
Mais ce jour-là, il a invité ce joueur dans un troquet pour en discuter.
Pas facile d’annoncer à quelqu’un les yeux dans les yeux qu’il ne fera plus partie de l’équipe l’année suivante.
Et bien vous me croirez ou pas, le gars l’a remercié et a même réglé les consommations. Deux Perrier je précise, dans le seul but de rassurer ses parents, le Mossad et le ministère de la santé.
Cette petite fable n’a en rien changé la face du XXIe siècle qui allait prendre la place du précédent, et s’installer pour un moment.
Et pourtant.
Deux décennies plus tard, un groupe de 23 petits chanceux vient d’apprendre qu’il allait passer une partie de l’été en Russie.
On imagine la joie de certains, en particulier ceux qui étaient incertains. Corentin Tolisso, par exemple, fait partie de ceux-là. Dédé apprécie sûrement son état d’esprit combatif, et le fait qu’il se soit imposé chez un grand d’Europe, le Bayern.
TF1 qui accueillait le sélectionneur pour l’annonce de sa liste, a enchaîné par un petit reportage où l’on voit l’ancien lyonnais de 24 ans qui apprend la bonne nouvelle en direct !
On a pu voir aussi, je ne sais pas sur quelle chaîne, Mbappé, 19 ans, nous expliquer que pour lui, la surprise n’en était pas une. Titulaire indiscutable, joyau inestimable du foot Français, la confiance en soi est très certainement une qualité essentielle du très grand champion.
Mais attention à ton melon Kylian, tu vas finir par avoir du mal à passer les portes. Et à part une montagne de biftons et deux titres de champion de France, ce qui est remarquable à ton âge, tu n’as pas encore gagné de titre majeur.
Si comme nous tous tu le veux, il va te falloir comprendre que tu ne le pourras pas tout seul. Et qu’il te faudra de temps en temps faire le tri dans ton jeu et arrêter de vouloir dribbler les onze joueurs de l’équipe adverse, ainsi que le jardinier du stade et les ramasseurs de balle. Et parfois faire une passe à ceux qui portent le même maillot que toi.
Bref, toujours intéressant de voir ou d’entendre des gars nous expliquer qu’ils vivent un rêve de gosse, qu’ils vont se mettre sérieusement au boulot et au service d’un collectif dont les objectifs surpassent ceux des équipiers qui le composent.
Un message positif en ces temps où prolifère un individualisme qu’on qualifie parfois de forcené.
Mieux qu’une grève de multimillionnaires en 2010 dans un bus du côté de Knysca, charmante bourgade d’Afrique du Sud…
Quel est le paysage moral qui se cache derrière la sanctuarisation médiatique et populaire de ce type de discours ?
La Nation.
Depuis que son unité se fissure, il est de bon ton d’annoncer se mettre au service du pays et de respecter le maillot bleu avant de le mouiller.
Et surtout, d’entonner la Marseillaise avant tout match international.
On peut avoir une opinion.
Se dire qu’à leur place on la chanterait à tue-tête, avant d’occire les hordes barbares venues égorger nos fils et nos compagnes.
Il ne manquerait plus qu’ils se fassent violer en plus !
Mais ne pas le faire est devenu plus que suspect.
A la fois un procès de Moscou et en sorcellerie. Sans juge ni avocat.
Juste une vindicte populaire qui condamne sans appel.
Sans savoir ce qu’un être humain pense.
Sans envisager de lui laisser la liberté de chanter ou pas.
Alors que certains, et pas des moindres ont affiché leur silence aux quatre coins du monde. On parle juste de TiPi, le meilleur basketteur français de tous les temps. Ainsi que de Claude Onesta, le coach de handball le plus titré.
Mais ce discours nationaliste est une posture dans un pays où l’intérêt commun est une hypocrisie que les indignés de tout bord nous servent à condition de ne pas toucher à leurs avantages, petits ou grands.
Il est une chose plus ancrée, plus sous-jacente.
C’est la conception mécaniciste d’une société qui nous vient certainement des tréfonds d’une révolution industrielle qui date de deux siècles ou plus.
Outre une foi inébranlable dans le progrès technique ou industriel, et une cécité concernant le mal que l’on fait à notre planète, le système ne peut fonctionner que si chacun est à sa place. Et mieux encore, s’il s’y sent bien.
- Bonjour Maurice, vous travaillez depuis longtemps ans dans cette magnifique cimenterie de Gargenville, que pouvez-vous dire aux téléspectateurs qui nous regardent vautrés sur leur superbe canapé Ikéa?
- Je voudrais tout d’abord remercier mes parents sans qui je ne serais rien.
- C’est beau, limite émouvant.
- Ainsi que mon oncle Robert, ma cousine Germaine, son chien, la belle-sœur de la voisine du charcutier, …
- C’est bon Maurice, essayez de faire court !
- J’ai commencé à seize ans dans la fabrication du fibrociment, 70 % de béton, 30% d’amiante.
- Mais c’est passionnant.
- Aujourd’hui je ne travaille que deux nuits par semaine, et je dépasse assez largement les 1600 € mensuels.
- Bravo Maurice.
- Je me sens bien ici, j’aimerais vraiment y finir ma carrière. J’espère seulement que mes légers problèmes respiratoires me le permettront.
- Merci Maurice, à vous Patrick.
- Heu, moi c’est Gilles.
Voilà une société qui fonctionne bien, chacun à sa place au service de …, du bien collectif dans le meilleur des mondes.
En tout cas à minima pour le bien de ceux qui tirent les marrons du feu.
Une société ou à défaut de faire ce qu’on aime, il faut aimer ce que l’on fait.
A suivre…