D’apparence affable, Clément devait certainement l’être de nature.
Le silence de celui qui venait de passer quelques jours en tête à tête avec sa nana ne l’agaçait pas. Mieux, il sentait bien que cette tension était normale.
C’était fondamentalement un homme de dialogue, prêt à accueillir des évènements contraires à ses intérêts, ou des modes de pensée éloignés des siens.
Son côté bonhomme ne l’empêchait pas de précisément savoir ce qu’il voulait.
Si les mouches avaient pu survivre à cette altitude, on les aurait surement entendues voler. Dommage pour elles, chaque yak produisant largement de quoi les occuper…
Son état d’esprit n’était pas d’ordre judiciaire, comme celui d’un avocat général prêt à bondir sur sa proie à la première occasion.
Il était profondément amoureux d’Isabelle et n’envisageait pas sa vie sans elle. S’il désirait mettre certaines choses au point, il était presque gêné du malaise que son retour impromptu avait provoqué. Il se sentit presque obligé de rompre la glace.
Pas pour déclencher les hostilités, juste pour apaiser les choses.
- Tu sais pourquoi je vous ai rejoints ?
- Je m’en doute un peu.
- C’est juste pour lui montrer combien je tiens à elle.
- Tu veux nous intenter un procès ?
- Pas le moins du monde. Je ne peux pas t’en vouloir d’apprécier cette fille qui est extraordinaire. Et comment pourrais-je m’octroyer le droit de la fliquer ?
Tu as vu la tronche que j’ai, si en plus je devais lui imposer une chape de plomb, je ne suis pas persuadé qu’elle envisage de passer ses vieux jours avec moi.
- Tu sais Clément, il ne s’est rien passé entre nous. Rien de …
- Oui pas de cul, elle me l’a dit. De toute façon, je l’aurais tout de suite senti.
- Et pourtant, j’me sens véreux, je suis partagé entre un sentiment de trahison et le bonheur de me sentir un peu moins seul.
- Mais tu n’es pas seul, tu nous as !
La suite fut aussi sensuelle que larmoyante.
A moins que ça ne soit le contraire.
Deux secondes plus tard, ils s’enlaçaient comme deux frères qui se retrouvent après une trop longue absence.
Ils oscillaient entre rires et larmes, sans se lâcher durant de longues secondes. Une scène émouvante, qui aurait pu se dérouler devant un comptoir après quelques anisettes bien fraîches.
Pas de pochards pour témoins, juste Vishnu, Brahma et Shiva à peine dérangés dans leur bâtisse hiératique.
Les yaks ne cessèrent pas de brouter pour si peu, ce qui était mieux pour la production fromagère. Pour qu’ils lèvent leur gros museau de leur assiette, il aurait fallu le passage d’un train, ce qui était plutôt rare dans ces contrées reculées.
D’un seul coup d’un seul, en quelques mots, Gilbert était sorti de son errance.
Pas le droit chemin, celui de la bienséance.
Non il avait retrouvé le fil de son histoire, ce qui fait qu’il était venu ici, si loin de sa région parisienne.
L’émotion qui le submergeait ne venait même pas du poids en moins d’une possible culpabilité. Il était bouleversé par la force et la beauté de la relation entre ses amis belges.
Le tout sans en être envieux.
Il était simplement heureux pour eux.
- Si tu veux, tu peux dormir avec nous ce soir ?
- Bonne idée, comme ça je pourrai me rincer l’œil.
- Si t’es gentil, on pourra peut-être aller jusqu’à t’inviter au bal.
- T’es vraiment trop con !
Les deux hommes riaient à s’en faire péter la gorge.
- Pas sûr d’être pour vous un partenaire très utile.
- Et pourquoi donc ?
- Le côté aphrodisiaque de ton corps d’athlète n’est pas super évident.
Un fou-rire interminable, de ceux qui finissent par vous déchirer le ventre.
Et qui vous fait pleurer.
Du rire aux larmes.