C’était une décision raisonnable et équilibrée, pleine de bienveillance pour celle qui méritait tant d’aller au sommet. Lui ôter ce plaisir aurait été un chantage des plus minables.
Il fallait juste lui montrer qu’ils ne se sentaient pas abandonnés, ce qui passait par un regard plein de confiance.
Celui qu’elle leur retourna le fut tout autant, plein de force et de joie de vivre.
A tous les deux.
Galzen n’eut pas à les briffer sur l’itinéraire, tellement il était évident. C’est à peine si on quittait Kyanjin Gompa des yeux sur la plupart de la descente.
Ils suivirent les grimpeurs des yeux un long moment, jusqu’à ce qu’ils disparaissent au derrière un piton rocheux.
C’est le Belge qui sonna la fin de la récré.
- On y va ?
- Allez, c’est parti !
- Vas-y, j’te suis.
Gilbert démarra assez rapidement, se laissant embarquer par la pente.
Le chemin de pierre lui rappela rapidement qu’il n’était pas un compagnon de jeu. Il n’était pas toujours évident de faire la différence entre les cailloux fixes et les perfides qui n’attendaient que l’occasion de rouler sous la chaussure. Un truc plutôt casse-gueule, qui vous offrait un vrai dilemme entre entorse de la cheville et fêlure du coccyx, largement de quoi gâcher la fin de vos vacances. Sans parler du retour à Katmandou qui pourrait s’avérer quelque peu désagréable, voire légèrement douloureux.
Largement de quoi vider une outre de Rakshi, à défaut d’un bon shoot de morphine.
Du coup vous mettiez les freins, sollicitant des muscles pas trop habitués à jouer ce rôle dans nos contrées occidentales. Sauf si vous étiez montagnard, ou femme de ménage à la Tour Effel.
Au bout de quelques minutes, il eût l’impression que ses cuisses allaient exploser.
Il s’arrêta, se retourna et s’aperçut que son compagnon de descente avait une vingtaine de mètres de retard. Il l’attendit, et put se rendre compte qu’il faisait quasiment autant de bruit qu’une locomotive à vapeur.
- Ca va tes gambettes ?
- Laquelle, la gauche ou la droite ?
- Tu descends à cloche-pied ?
- Oui, j’en profite pour jouer à la marelle, à l’époque, j’étais champion de ma cour.
Un petit coup de flotte, et ils repartirent.
La situation était cocasse.
Gilbert avait mille choses dans la tête, il s’imaginait que Clément aussi, mais il ne pouvait faire autrement que de s’enfermer dans un silence pesant.
Les seules choses qui pouvaient sortir de leur bouche étaient ces râles respiratoires, plus proches de l’ursidé en rut que de Gaston Rebuffat, bien connu pour ne jamais mélanger alpinisme et sexualité. Le fringant savoyard pouvait très bien faire trois jours dans les Grandes Jorasses, mais il attendait toujours son retour triomphal à Chamonix pour planter son piolet.
L’effort physique demandé les empêchait totalement de parler, ce qui n’était pas sans l’arranger. Mais si sa parole était muselée, il n’en était pas de même pour ses pensées qui vagabondaient, coulaient dans toutes les directions jusqu’à inonder la moindre circonvolution de son cerveau.
Mais ce coup de main physiologique ne durerait pas éternellement, il se doutait bien qu’il lui faudrait un moment ou l’autre passer à la caisse.
Le prix à payer serait en mots, en phrases et en explications, à moins qu’il ne faille tâter des grosses phalanges de son ami d’outre- Quiévrain…
Isabelle faiblissait à peine.
Malgré son corps taillé pour tout type de sport, le manque d’oxygène se faisait sentir à cette altitude, et elle devait régulièrement faire des petites pauses.
Les 150 derniers mètres d’ascension se firent dans la neige et les rochers.
Elle s’arrêtait maintenant tous les dix pas pour reprendre son souffle, mais ça ne l’empêchait nullement de progresser régulièrement.
Ses jambes ne lui faisaient plus mal, tant l’excitation d’arriver au sommet était galvanisante.
Le guide la suivait aussi tranquillement que s’il était sorti acheter le pain.
Quand ils l’atteignirent, le spectacle était grandiose.
Le paysage était magnifique, le ciel pur et le soleil rayonnant.
Galzen lui tendit sa main calleuse qu’elle serra volontiers.
- Congratulation Miss !
- Thank you.
Il sortit quelques gâteaux toujours aussi secs qui furent les meilleurs du monde.
Il faisait bon, presque chaud. Elle s’allongea au soleil, à l’abri du vent derrière une grosse pierre.
Trois secondes plus tard, elle fit une chose pour laquelle elle avait un talent certain.
Dormir.
C’était sa première sieste à 5000, pas sûr que ça ne soit pas la dernière.