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HIBERNATUS


Ils se réveillèrent en sursaut en entendant quelqu’un qui ouvrait la fermeture de la tente.

- Putain, tu fais chier Galzen, tu pourrais frapper avant d’entrer !

- Allez debout là-dedans !

- Clément…

La tête imposante du Belge se dessina dans l’ouverture, il ne manquait plus qu’un peu de persil pour lui donner une subtile touche ovine.

Isabelle était déjà debout, les bras autour du cou de son revenant préféré.

Gilbert eut un peu plus de mal à émerger, tellement il était partagé entre la déception de la perdre et la honte d’être pris la main dans un si joli pot de confiture.

Il finit par sortir, en veillant à décrisper au maximum un sourire forcément un peu hypocrite.

Le résultat, peu convaincant, fut de lui donner un air vraiment crétin et accessoirement en délicatesse avec son transit.

- Tu as fait vite pour nous rejoindre.

- T’as vu ce chamois népalais !

- Sérieux comment tu as fait ?

- Bagnole, âne et marche, avec des réveils à 4H du mat. Je suis cramé et j’ai l’impression d’avoir perdu 10 kg, mais je suis là.

- Et ben, respect mon vieux.

- L’amour donne des ailes…

Un thé et quelques gâteaux secs plus tard, ils firent le point sur leur programme du jour.

- On avait prévu de faire le Tsergo Ri, une mise en jambes avant le Yala.

- Pas de problème je suis des vôtres.

- Pas très prudent tout ça mon chéri, à cette altitude, il te faut un temps d’acclimatation.

- C’est pas une colline qui va m’emmerder, jte rappelle que petit, j’ai sillonné les monts de Wallonie en long, en large et en travers…

- Oui mais là tu rajoutes un zéro, on culmine à 4984 mètres, plus haut que le Mont Blanc !

- Tiens tu as retrouvé la parole toi !

- Quand il s’agit de causer altitude, je suis toujours là.

Plus jeune, Gilbert s’était abreuvé de chiffres, ceux des sommets de France et de Navarre. Pour la Wallonie, on était dans l’estimation, un peu en dessous des 694 mètres du signal de Botrange. Celui-là pour le connaître, il fallait être sacrément instruit, ou extrêmement belge.

Ils comprirent qu’il était inutile d’espérer convaincre Clément de renoncer à cette grimpette, à priori moins difficile que celle du Yala. Galzen viendrait seul avec eux-trois.

Il leur annonça environ quatre heures de montée, pour trois de descente. Il n’était pas question de traîner, et à 7H00 précises, la petite troupe quittait le village. Le jour venait de se lever et la température flirtait avec le 0°.

Les deux premières heures furent monotones, une progression lente et régulière sur un chemin de terre.

La pente était raide, et il n’y avait quasiment pas de plat.

Pour le népalais, c’était comme s’il prenait l’escalier pour monter au deuxième étage de sa bicoque.

Isabelle était incroyable, comme si elle avait fait ça toute sa vie. Elle gambadait comme une chevrette du Caucase sur une colline bourguignonne.

Pour les deux autres, la réalité était moins virevoltante, et la gravité faisait son office, comme partout sur la planète. Les deux garçons suaient comme cochons, et chaque virage était pour eux la possibilité d’une île, en tout cas d’un replat ou au mieux, d’une pente beaucoup plus douce.

Un espoir à chaque fois déçu, comme le cycliste du dimanche qui se lance dans l’ascension d’un col hors-catégorie.

Chaque mètre était aussi dur que le précédent, mais surtout que le suivant, ce qui était une bien mauvaise nouvelle pour le moral des troupes.

Le problème, c’est que la troisième heure était la plus difficile.

Pas d’écurie en vue pour quantifier la souffrance restante, et de plus, le manque d’oxygène se faisait vraiment ressentir à une altitude de plus de 4000 mètres.

Leur progression devenait de plus en plus éprouvante et chaotique.

Pour arranger les choses, le chemin de terre se faisait champ de rochers.

Le manque de souffle et le mal de jambes les poussèrent à faire des pauses qui devinrent de plus en plus rapprochées.

L’une d’elles leur fût fatale, et ils ne purent repartir.

Isabelle et Galzen firent demi-tour et vinrent aux nouvelles.

Ils comprirent vite que les encourager à repartir serait inutile.

C’est Clément qui réussit à articuler quelques mots et à débloquer la situation.

- Allez-y, finissez tous les deux.

- Non pas question.

- Mais si mon cœur, on va redescendre tranquillement avec Gilbert, rendez-vous au campement.

- Qu’en penses-tu ?

Pas moyen pour lui de sortir le moindre son.

Son hochement de tête fut un signal suffisant pour sonner la scission du groupe.

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