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HIBERNATUS


Il faisait froid, plus que les derniers soirs.

La nuit était tombée depuis un moment, mais la majesté des lieux pesait sur ce petit groupe blotti autour d’un feu, aux pieds de montagnes gigantesques, les plus hautes du monde. On sentait leur présence plus qu’on ne les voyait, masses sombres qu’on devinait dans l’obscurité. Bientôt des millions d’étoiles scintilleraient et la lune sortirait de sa tanière, dessinant les crêtes de leur lumière pâle mais intense.

Les deux népalais avaient beau vivre ça depuis des décennies, ils semblaient toujours autant fascinés par ce spectacle, comme la toute première fois. Pire, ils n’y assistaient pas, non, ils en faisaient partie.

Comme si les hommes et les éléments ne faisaient qu’un, atomes d’une harmonie qui les animait plus qu’elle ne les dépassait.

Quelque chose de divin.

Les deux occidentaux n’en étaient pas là.

Trop de choses avaient parasité leur conscience, en particulier les petits déboires digestifs du jeune homme.

Et comme tous les acteurs d’un monde qui n’avait pas fini de s’emballer, ils avaient un peu de mal à lâcher prise, à vivre pleinement le présent.

Mais ce soir, ils s’étaient rapprochés, presque collés, pour se réchauffer. Ils se sentaient bien, tout simplement, sans que rien ne vienne perturber cette sérénité.

Le temps s’était arrêté, ils ne surent jamais trop combien dura ce moment extatique.

Ça devenait une habitude, c’est la voix particulière de Galzen qui les sortit de leur rêverie éveillée. Les népalais allaient rejoindre leur tente.

- You stay here ?

- Why not.

- So, I put the rest of the wood in the fire.

- Thank you, have a good night.

- The same for you.

Ils se rapprochèrent à nouveau, quasi instantanément, sans intention de se décoller de sitôt.

Ils s’allongèrent côte à côte, main dans la main, la jambe gauche d’Isabelle posée sur celle du jeune homme, forcément la droite.

Leurs regards, à la verticale, ne pouvaient échapper au spectacle stellaire. Ils purent comprendre pourquoi ce ciel était parfois qualifié de « voûte céleste ».

Presque une éducation à l’infini, concept mathématique pas toujours facile à envisager pour un esprit cartésien.

Les points lumineux, de millions devenaient des milliards si vous fixiez vos yeux sur un secteur précis.

Une multiplication exponentielle, qui reléguait un célèbre barbu et ses petits pains au rang d’amateur ou de mauvais plaisantin. Presque jusqu’à se flouter, et à transformer tous ces points en une sorte de brouillard.

Le tableau surnaturel d’un maître pointilliste qui aurait peint un nuage par des millions de petits coups de pinceau.

Sauf que l’on savait aujourd’hui qu’il n’y avait aucune illusion dans tout ça, et que depuis un big bang initial, l’univers était dans une expansion infinie.

C’est le froid qui les fit réagir.

Le feu s’était éteint, quelques braises finissaient de rougir.

Ils s’aperçurent qu’ils grelottaient presque, d’un quart de tour presque instinctif, ils se retrouvèrent presque emboîtés, dans les bras l’un de l’autre. Difficile pour qui les verrait dans cette posture de se convaincre du côté platonique de la manœuvre.

Leurs mains se frottaient contre leur dos pour se réchauffer. Ils étaient joue contre joue, leur visage contre l’oreille de l’autre.

Une odeur qui se voulait familière reprit le pouvoir sur la conscience de Gilbert. Et pourtant, il ne l’avait sniffée qu’une seule fois, celle où il s’était endormi sur l’oreiller de la jeune femme. Celle de sa chevelure, mélange subtil de sueur et d’un shampoing qui datait maintenant de quelques jours.

Un parfum des plus enivrants.

Ils n’avaient pas prononcé le moindre mot depuis que les autres étaient partis se coucher.

Isabelle brisa le silence avec douceur, l’oreille de son interlocuteur n’étant qu’à trois centimètres de sa jolie bouche.

- Comme c’est beau !

- Grandiose.

- J’ai pas vu le temps passer, une sorte d’état de conscience secondaire.

- Comme si on méditait.

- Si on veut.

- Pourquoi ?

- Je me demande si le truc un peu dur que j’ai senti contre moi est vraiment si contemplatif que ça…

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