Ils furent rapidement à Lyon, et pour une fois, franchirent facilement un tunnel de Fourvière étrangement désertique.
Sans carte ni GPS, C. commença à gamberger en se demandant quelle direction prendre.
Son passager dut ressentir un malaise dans sa conduite.
- Il y a deux façons de monter le Galibier.
- Ah oui ?
- Le nord ou le sud, Télégraphe ou Lautaret.
- Et tu préfères laquelle ?
- Le nord, par le Télégraphe !
- Direction Chambéry alors ?
- Oui c’est ça.
- A nous l’A43 alors.
Moins d’une heure plus tard ce fut le tunnel de l’Epine et la ville en contre-bas.
Ils sortirent, et une fois au centre- ville, demandèrent la direction de Saint-Michel de Maurienne, point de départ du fameux Télégraphe.
Le quidam qui les renseigna avait un accent qui ne pouvait trahir ses origines savoyardes.
- C’est simple les parisiens, A43 direction l’Italie.
- Merci.
Ils repartirent sur cette autoroute qu’ils n’auraient jamais dû quitter. Ils en sortirent à Saint-Michel, et purent facilement constater que la Maurienne avait creusé une vallée plus encaissée que l’Orge. C’est dommage, le contraire leur aurait permis de faire du ski à quelques kilomètres de chez eux. Et à Juvisy d’être une ville un peu plus glamour.
Celle qu’ils visitaient ne l’était pas tant que ça.
Le soleil ne devait pas souvent s’inviter au bord de la Maurienne, en tout cas pas aujourd’hui.
Une industrie pétrochimique en perte de vitesse avait, après l’avoir boosté, sapé le dynamisme de cette charmante bourgade, au fond d’une vallée qui fleurait bon le perturbateur endocrinien.
La nuit qui tombait n’arrangeait en rien le côté ville morte, malgré quelques décorations lumineuses.
Il était trop tard pour se faire le Galibier aujourd’hui, et au moment où ils pensaient rebrousser chemin vers des contrées plus civilisées, une enseigne éclairée attira leur attention.
Quelques instants plus tard, ils poussaient la porte d’un café qui semblait tout droit sorti des années 50. A part le zinc du comptoir, on était dans le royaume du sky et du plastoc, le bois y était interdit de séjour.
Le patron, de taille moyenne et les cheveux lourdement gominés, aurait pu jouer dans un film avec Gabin.
- Qu’est-ce que je vous sers Messieurs ?
- Deux vins chauds, répondit René.
- Vous verrez, il est vraiment très bon, vous ne regretterez pas. Installez-vous là-bas sur la banquette.
Bien calés, au chaud, ils attendaient le breuvage.
- Je peux te demander un truc tonton ?
- Oui.
- Pourquoi tu ne préférais pas passer par le Lautaret ?
- Comment ose-tu me poser une telle question, en 52, le Campionissimo a fait son deuxième doublé Giro - Tour.
- Oui et alors ?
- Et alors ! La veille il a largué tout le monde à l’Alpes-d ’Huez, et là, tout le monde veut sa peau dans le Galibier.
Le café de la Poste est plein à craquer en ce début d’après-midi du 6 juillet 1952. Des centaines de spectateurs survoltés sont venus voir passer les coureurs sur les premiers lacets du Télégraphe.
L’équipe de France a décidé de réagir et de chahuter le maillot jaune Fausto Coppi.
Robic et Biquet passent en tête à la sortie de Saint-Michel de Maurienne, mais c’est un minot breton, Jean le Guilly qui dynamite le peloton dès le pied du col. Le Campionissimo fera exploser tout le monde dans le Télégraphe et ne le reprendra qu’au sommet du Galibier.
La TSF braille, et tous ceux qui ont vu l’attaque tricolore se préparer écoutent comme ils peuvent la fin de l’étape qui se jouera sur les pentes de Sestrières.
Malgré les cris, les enguelades, les conseils tactiques en tout genre, les cigarettes et les verres de Ricard, personne dans le bar ne pourra empêcher l’italien de finir en jaune à Paris avec trente minutes d’avance sur son dauphin.
- Vas-y Tonton, c’est toi le meilleur.
Après un premier kilomètre assez tranquille, les six suivants du Télégraphes sont à 8% de moyenne. Pas facile pour un cyclotouriste de bientôt soixante ans. Presque à l’agonie sur le dernier pignon du petit plateau, René D. s’accroche comme un damné, finit par trouver son rythme et enchaîne les lacets lentement, mais surement. Il connait la bête et sait bien que les quatre dernières bornes seront plus cool.
Puis c’est la descente sur Valloire, cinq kilomètres de ballade à toute vitesse.
Et c’est le Galibier, qui hormis un petit casse pattes au deuxième, a la gentillesse de ne pas trop vous faire mal pendant une dizaine de kilomètres.
- C’est cadeau René, même pas mal.
Les huit derniers sont moins conviviaux, avec leurs 8,5 % de moyenne.
Mais le bougre a bien préparé son affaire, et la caisse qu’il s’est forgée pendant ses longues sorties d’hiver lui permet après une phase difficile, de trouver un second souffle qui le portera aux 2642 mètres du sommet.
Ne t’arrête pas. Il y a tant de cols dans les Alpes. Fais les tous.
Et n’oublie pas les Pyrénées.
Tant que tu y es, paye-toi une petite virée dans les Landes.
Plante tes cannes en bambou dans le sable.
Et sors nous donc une belle sole.
Ou deux.
C’est Noël et on a encore rien mangé.
J’ai la dalle.
Si tu veux je vais chercher un peu de bois et on se fait un petit barbecue sur la plage.