Noël approchait à grands pas, le réveillon était pour le soir même. Pas de neige au programme, juste de la grisaille et un petit crachin qu’un britannique ne renieraient pas.
Chaque famille ayant ses traditions, ça serait le soir dans la belle et le midi dans la sienne, avec environ 14000 calories à se répartir en une demi-journée. Soit à peu de choses près, ce que s’empiffre une famille du Sahel pendant un semestre. Et encore, à condition de ne pas manger une baguette au petit dèj, ni surtout, de ne pas trop taper dans les multiples boites de chocolat qu’on lui avait offertes.
La soirée avait commencé par vingt-cinq minutes de tours de pâtés de maisons durant lesquelles la berline familiale avait corsé le bilan carbone de la capitale. La place qu’ils dégotèrent avait au moins l’avantage de leur permettre une assez longue marche apéritive, puis digestive dans quelques heures. Décidément, les parisiens étaient vraiment des bobos qui n’allaient que très rarement dans les banlieues inhospitalières et moyennement catholiques. Du coup, ils n’étaient pas les seuls à avoir franchi le périph pour y fêter la venue du Divin enfant, c’est mieux avec la liaison.
C’est donc en sueur, chargé de paquets et moyennement détendu qu’il pressa la sonnette de l’appartement du troisième étage d’un appartement même pas haussmannien, d’un arrondissement pas si populaire que ça.
Quelques minutes plus tard, des noix de cajou, des petits boudins antillais et une célèbre boisson à bulles firent ce qui fallait pour évacuer le stress initial de cette belle soirée d’hiver.
Le retour avait été plus serein que l’aller, et après avoir commencé dans la voiture, tout le monde dormait dans la maison. Il était le seul à ne pas avoir trop sommeil. Machinalement, il ouvrit le frigo, en sortit une bouteille de Quincy à peine entamée. Armé d’un verre, d’un chèvre bien sec et d’un morceau de pain, il se posa sur son canap, non sans avoir allumé sa fidèle télé.
Pas fan des bêtisiers et autres films de circonstance, il se jeta sur un match de basket US, la compagne idéale à cette heure avancée.
De toute façon, il était bien trop tard pour la messe de minuit.
Le sommeil le prit sans trop de surprise avant qu’il ne puisse finir le dernier verre de vin blanc de Touraine.
Il faisait jour quand il ouvrit l’œil.
Son seul projet étant de rejoindre son lit, il dût d’abord péniblement déplier sa grande carcasse avant de se lever. Il s’arrêta devant le sapin autour duquel un père Noël bien généreux avait érigé une montagne de cadeaux.
Pour rien au monde il ne voulait manquer ce moment magique où ses enfants écarquilleraient des yeux encore tout collants devant un tel spectacle multicolore.
Tant pis pour sa chambre, il mit le cap sur la machine à café qui bientôt tenterait de le réveiller.
La radio distilla les nouvelles du jour, toujours sirupeuses le vingt-cinq, comme si le chômage, les tsunamis et les terroristes s’étaient donné le mot pour la fameuse trêve, celle des confiseurs.
Au moment précis où il allait tremper ses lèvres dans la tasse, le journaliste de cette célèbre station d’information continue annonça un reportage sur le dîner dans une maison de retraite.
Tonton René !
Son oncle n’avait pas dû passer le réveillon le plus joyeux de son existence.
Cette pensée venue de nulle part lui fut d’un seul coup insupportable.
Encore dans ses fringues de la veille, il décida d’aller se rafraîchir les idées sous la douche. Mais il en sortit encore plus révolté. A peine habillé, il alla embrasser ses enfants qui écrasaient comme des bienheureux. Il prit ses papiers et la clé de la voiture, puis écrivit un petit mot sur la table :
« Suis parti chercher Tonton »
Il n’y avait pas un chat dans les rues, et moins d’une heure plus tard, il poussait à nouveau la porte des Fleurs bleues.
Son oncle ne parut presque pas surpris quand il entra dans sa chambre.
- Tu viens, on se fait une petite virée pour Noël ?
- Oui, j’ai envie d’une bûche au chocolat.
- Tu n’en as pas eu hier soir ?
- Je ne me rappelle pas.
Il prit un sac dans lequel il fourra en vrac des affaires qu’il prit au hasard dans la commode. Il le releva de son lit et l’installa comme il put sur le fauteuil roulant plié près du mur. Il lui mit sa veste sur les épaules, et se retrouvèrent dans l’ascenseur.
Il se demanda ce qu’il allait bien pouvoir baratiner à la pimbêche de l’accueil, mais la charmante hôtesse avait eu la bonne idée de quitter son poste. Ils quittèrent la place aussi facilement que d’autres entraient dans un moulin.
Le portail automatique s’ouvrit comme il se doit, les laissant tranquillement sortir du parking.
Son frêle passager ne tremblait pas, il lui sembla même percevoir un sourire sur son visage creusé. Miraculeusement, il se tenait presque droit sur son siège, comme maintenu par la ceinture de sécurité.
Les chats étaient maintenant de sortie, et les autres voitures aussi.
Ils mettraient plus de temps pour rentrer qu’il n’en avait mis pour venir.
Il voulut prévenir sa famille mais se rendit compte que son téléphone était resté à la maison.
Son oncle aimait et n’écoutait plus que de la grande musique.
En quelques clics, il fût sur France musique qui donnait le concerto pour violon n°2 de Camille Saint Saëns.
- Ça te va comme morceau ?
Il n’eût pas la réponse, le vieil homme dormait comme un nouveau-né.
Sa tête s’était posée sur son épaule.