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TONTON RENÉ


Ca faisait plusieurs mois que son oncle s’était installé dans cet établissement médicalisé et néanmoins assez peu comique. Il n’avait pas précisément pris cette décision de bon cœur, ni organisé son déménagement avec enthousiasme. Dire qu’on l’avait fait à sa place était sans doute plus proche de la vérité, et de l’idée qu’on se fait aujourd’hui de cette maladie. Une affection neurologique qui visiblement, grignotait le libre arbitre d’un homme qui pourtant, n’avait rien d’un petit plaisantin.

Il se disait dans la famille que son état empirait inexorablement, ce qui justifiait ce choix thérapeutique qui avait tout d’un aller sans retour.

Comme prévu, l’ascenseur s’arrêta au deuxième. Il était venu avec son père, qu’il laissa sortir d’abord. La 217 n’était pas bien loin, et bientôt, les deux hommes y entrèrent après avoir toqué à la porte. Une première fois, une deuxième, puis une troisième, sans qu’aucune réponse ne les y invite.

Les trois coups avant le lever de rideau d’une pièce moins légère que sur les grands boulevards.

La chambre était claire, spacieuse et propre. Des cadres, des lampes et un bouquet de fleurs lui donnaient une touche humaine et personnelle. Une pointe bleutée rendait la peinture plus chaleureuse que le blanc immaculé des traditionnelles chambres d’hôpital.

Une large porte fenêtre bordait un grand balcon sur lequel Tonton René n’allait jamais, avec juste devant, son lit, médicalisé comme il se doit en pareil cas.

S’il n’avait jamais été un colosse, c’est d’un corps tremblant et très amaigri que sortit une réponse furtive et mal articulée au salut des deux visiteurs.

La bise n’ayant jamais été de mise entre les hommes de la famille, il tendit sa main large et puissante dans laquelle celle qui s’y emboita paraissait être celle d’un enfant qui avait la tremblote. Il répondit délicatement à la légère pression qu’il crut sentir.

Le « Ça va ? », qui machinalement sortit de sa bouche ne reçut pas d’autre réponse qu’un regard qui en disait long sur la confiance que son oncle avait dans la vie.

Le dur à cuire qu’il pensait parfois être n’y résista pas, il dut faire mille efforts pour ne pas éclater en sanglots. Une boule remonta d’un coup de son ventre pour se loger au fond de sa bouche, l’obstruant, bloquant toute possibilité de sortie du moindre mot.

Il afficha un sourire plus que niais, avant de se retourner et de faire comme s’il devait finir la visite de la pièce.

Son père, qui pourtant n’avait pas la réputation d’un fin psychologue, mis fin au malaise en engageant la conversation.

- T’as vu, je suis venu avec C.

- Ouais.

- Il fait moins froid aujourd’hui.

- Tu peux m’aider à me redresser ?

Il prit son beau-frère dans ses bras et le remit dans une position moins tordue.

La suite ne fut pas beaucoup plus légère, et il resta quasiment silencieux. Les émotions qu’il ressentait y étaient sans doute pour quelque chose, mais finalement, il se rendit compte que durant toutes ces années, il n’avait jamais vraiment parlé avec son oncle.

Une jeune femme tout de bleu-ciel vêtue fit irruption dans la pièce, en poussant un chariot plein de biscuits.

- C’est le goûter.

- Ca va aujourd’hui ?

- Ouais.

- Il faut boire, je vous sers un verre d’eau.

- Bon ben, on va vous laisser, salut René.

- Au revoir Tonton.

Il crut déceler une lueur dans ses yeux, pas de joie, de vie.

Le temps de lui serrer la paluche, ils se retrouvèrent rapidement dans le couloir.

La lutte qu’il avait menée pendant ces longues minutes lui avait demandé pas mal d’énergie, et les larmes le prirent quand ils revinrent dans l’ascenseur. Son père le rassura en posant sa main sur son épaule.

- C’est pas facile, hein ?

- Putain, qu’est-ce que c’est dur !

Il se rendit compte qu’il n’avait jamais pleuré devant son père.

Mais le plus incroyable dans tout ça, c’est que c’était la première fois, en tout cas aussi loin que le permettait sa mémoire, qu’il lui montrait de la tendresse.

Un geste simple, pas un gros câlin.

Une simple main.

Mais tellement fort qu’il n’était plus le même homme en sortant des Fleurs bleues.

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