Malgré ce qui finissait par devenir une habitude, il sentit comme à chaque fois la gnôle descendre et lui ramoner l’œsophage.
Le problème, c’est que le subtil breuvage ne limita pas son action à cette sensation de brûlure. Il s’était dilué rapidement dans l’estomac, retrouvant la dose de piment ingérée un peu plus tôt. Le mélange des deux s’avéra détonant, un peu comme si Gilbert avait avalé une canette de Destop.
Ses tripes s’embrasèrent d’un coup, bouillonnèrent dans son ventre et n’eurent d’autre issue que de chercher rapidement une porte de sortie avant l’implosion. Il ne put contenir un son bizarre, entre le rot et le hoquet et dut rapidement s’écarter d’Isabelle.
- Qu’est-ce qui t’arrive, ça va ?
Elle n’eut pas de réponse, en tout cas ni verbale ni articulée. Il s’était rapidement éloigné du campement, mais pas suffisamment pour s’isoler. Il n’avait pu faire autrement que de poser une gerbe monumentale, dans un raclement guttural presque inhumain.
La scène aurait pu être presque risible si elle n’avait pas été aussi violente et soudaine.
Ses entrailles étaient en feu, et de puissants spasmes le secouaient sans aucun ménagement. Ceux qui ont vécu ça savent bien que ça fait partie des moments très pénibles de la vie, mais se vider de la sorte devant cinq paires d’yeux effarés n’arrangeait rien. Au fil de ses crises de vomissement, il finit par se retrouver un peu à l’abri, bien calé au bord du ruisseau dont le bruit couvrait presque ses râles.
Le guide et les trois porteurs replongèrent assez rapidement dans le spectacle stellaire qui n’avait pas cessé pour si peu.
Isabelle vivait un grand moment de solitude, pas frustrée par ce qu’elle aurait pu vivre sans ce troisième verre de Rakshi. C’est surtout qu’elle ne savait pas trop comment se positionner, partagée entre s’occuper de son grand malade et ne pas heurter sa pudeur. D’autant que pour arranger les choses, il avait enchainé sur une turista des plus carabinées.
Gilbert profita d’une accalmie surprise pour revenir vers le camp, où il vit la jeune fille qui était assise à côté de sa tente.
- Ca va mieux mon pauvre chéri ?
- Oui t’inquiète, je me suis délesté du superflu qui m’encombrait un peu.
- Tu as besoin de quelque chose ?
- Non, ça va.
- Viens t’allonger, jte ferai des papouilles dans les cheveux.
Cette proposition avait beau être beaucoup plus honnête que ce à quoi il s’attendait en début de soirée, il n’eut pas le loisir de formuler la moindre réponse. La boule de feu qu’il avait dans le bide venait d’un seul coup de se rappeler à son bon souvenir. Il eut juste le temps de tourner la tête pour ne pas asperger celle qui le réconfortait.
Il retrouva une place stratégique sur la rive du ruisseau, qu’il ne put quitter avant deux bonnes heures. Son cerveau semblait se vider au même rythme que le reste, il n’était plus qu’un zombie, sans vie, qui attendait la salve suivante. L’espace d’un instant, il crut juste apercevoir Galzen qui venait un peu aux nouvelles, mais sans en être trop sûr.
Quand il rejoignit le campement, il n’y avait plus personne autour du tas de cendres froides. Ca ronflait dur dans les deux tentes des népalais qu’on entendait malgré le bruit de l’eau. Un instant, il s’imagina rejoindre la place à côté de celle qui maintenant devait écraser sévèrement, la sienne, mais malgré ce qu’il avait évacué, il se sentait toujours sursitaire.
Le faire dans un espace aussi confiné serait moyennement romantique, et certainement de nature à le rendre un peu moins attirant. Il préféra préserver cette possibilité, et surtout se garder une voie dégagée en cas de récidive. Il trouva une couverture, s’allongea et se cala comme il put. Il n’avait aucune idée de l’heure qu’il pouvait être, mais la lumière avait un peu changé, et les étoiles étaient moins nombreuses. Son attention se fixa sur un astre qui brillait plus que les autres, qui semblait presque clignoter. Comment imaginer qu’un autre puisse voir ça à cette heure si tardive, si loin, si mystérieux, mais gardant un œil sur lui.
Il y avait là largement de quoi méditer ou philosopher, mais au lieu de ça, il sombra comme une masse dans un sommeil réparateur. Et pourtant, il y avait de quoi se poser quelques petites questions, ou se dire que la vie était parfois pleines de petites surprises.