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HIBERNATUS


Comme d’hab, il ne fallut pas deux pas pour qu’Isabelle jaillisse tel un bouquetin des Alpilles. Il se mit tout de suite dans le rythme de son sillage, comme aimanté par ce corps fin et athlétique.

Il se sentait léger, comme si l’évidence de son désir lui avait enlevé un sacré poids ou s’il venait de libérer sa conscience de choses qui lui pesaient.

Son projet immédiat était de croquer la vie, en laissant de côté des questions trop existentielles pour être honnêtes. Cette chronique d’une cartouche annoncée lui donna des jambes de feu, la dizaine de kilos qu’il avait sur le dos était de plume. Il enquilla les hectomètres comme Galzen les verres de gnole, sans aucun effort. Lui aussi gambadait sur ce chemin pourtant difficile et pentu.

Le paysage était toujours aussi beau, alternant roches et forêts, le long d’une vallée qui n’avait pas cessé d’être encaissée, avec ces rhododendrons gigantesques et ces singes qui semblaient les épier comme les sentinelles d’une armée dont on ne savait pas trop si elle était hostile.

Il put également franchir sans hésitation les ponts suspendus qui suivirent.

Tout s’enchainait merveilleusement, avec harmonie, comme s’il était sous hypnose, il aurait pu marcher des heures si la voix de crécelle du guide ne l’avait sorti de cet état second.

- Look at your left.

- Bear, crocodile, yeti?

- No, higher up.

- The montain?

- Yes, Langtang Lirung.

- Altitude?

- 7245 meters.

-That’s all?

A condition de lever la tête à s’en faire péter les cervicales, on pouvait apercevoir, juste dans une échancrure de la crête, un sommet fait de roches et de neige sur lequel s’agglutinaient quelques nuages bien blancs.

Les Tamengs, eux, en avaient vu bien d’autres, et même des 8000 comme s’il en pleuvait. Mais pour les deux européens, c’était la première fois qu’ils approchaient une montagne auprès de laquelle le mont Blanc pouvait passer pour un lutin de foire.

Savoir qu’ils en grimperaient une bientôt tous les deux leur procura un nouveau moment de pure émotion. Ils se prirent par les mains, mais cette fois, ils ne laissèrent pas le temps à l’arbitre d’intervenir. A peine le temps d’y penser, Isabelle lui prit la nuque et déposa sur ses lèvres un baiser qui ne resta pas longtemps délicat.

Il n’avait pas hésité une seconde à mettre 7000 km entre lui et sa capitale chérie, tout ça pour retrouver une jolie petite brune qui d’un regard l’avait bouleversé. Et il se retrouvait à embrasser une grande blonde sous le toit du monde. La vie savait faire de bonnes surprises, avec pas mal d’escalade en perspective.

Une fois encore, ils durent bien se résoudre à repartir, ce qui était d’autant plus bête que 20 minutes plus tard, à la sortie d’un énième pont suspendu, ils atteignirent leur bivouac, à Lama Hotel, dans un charmant village perché à 2500 m d’altitude.

Mine de rien, ils venaient de se coltiner 1000m de dénivelé en 10 bornes, ce qui, pour les mathématiciens égarés qui me liraient, faisait une pente à 10%. Digne d’un grand col du Tour de France.

Galzen était parti faire un tour, la bande à Kishor s’affairait sans s’énerver mais avec une efficacité redoutable. En moins de trente minutes, le campement était fin prêt, avec trois tentes montées autour d’un foyer de pierres sur lequel chauffait une gamelle d’eau.

Ils en profitèrent pour s’éclipser au bord du ruisseau afin de vaquer à leurs affaires sanitaires. Pudiquement, ils se choisirent chacun un petit coin. L’eau était tellement glaciale qu’elle sciait les chevilles. Autant dire que le bain de siège qui suivit fut pour le moins rafraîchissant.

Ils se retrouvèrent autour du feu où ils s’aperçurent que leur estomac criait famine. Voir les porteurs préparer le dîner n’arrangeait pas les choses, et même s’ils se doutaient du menu, des crabes s’étaient invités dans leur ventre et leurs rongeaient la paroi stomacale.

Pour couper court à toute ambiguïté, Gilbert posa ses affaires dans la tente d’Isabelle, qui lui fit un grand sourire.

- Comme ça on dort ensemble ?

- J’en ai bien l’impression.

- Mais vous ne m’avez pas demandé la permission Monsieur, sachez que je ne suis pas une fille facile.

Il se mit à genoux, à ses pieds.

- Madame, puis-je caresser l’espoir de partager votre couche ?

- Nous verrons Monsieur.

- S’il vous plait ?

- Juste pour dormir alors.

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