Le soleil était maintenant assez haut pour se montrer au-dessus des crêtes qui bordaient la vallée. Suivant comme il pouvait les caprices du ruisseau, le sentier alternait fournaises et passages à l’ombre. Depuis les premiers mètres, Gilbert suait comme un goret. Il devait être autour de midi quand ils arrivèrent à Bambu Lodge, improbable établissement, mélange confus de pierres et de planches, dont on se demandait comment il tenait sur le flanc de la rivière. La première chose qu’il fit fut de poser son sac, d’enlever son tee-shirt trempé de sueur et de le rincer dans la flotte qui coulait devant lui. Il s’aspergea avec insistance malgré une eau dont la température n’excédait pas un chiffre, et en plus, un petit.
Il étendit sa fringue en coton sur une pierre presque brûlante. Il ne faudrait pas plus de quelques minutes pour qu’elle sèche.
Il remontait vers les autres quand il croisa Isabelle qui le siffla comme un collégien qui voit passer une belle nana dans la rue.
- Si on m’avait dit que Tarzan serait du voyage !
- C’est pas beau de te moquer.
Il souriait. Pas sportif pour un sou, il savait bien que son torse n’avait pas de quoi affoler la ménagère de moins de cinquante ans. Et pourtant, il était assez baraqué, avec des épaules larges et bien dessinées.
- Elle est pas trop fraiche ?
- Non ça va, ça fait du bien.
Sa réponse à peine terminée, la jeune fille avait elle-aussi tombé la veste pour s’asperger d’eau glacée. Il n’eut pas vraiment le temps de profiter d’un spectacle aussi grandiose que celui des paysages alentours, la première bordée lui arrivait pleine face. La bataille d’eau était déclarée, et ils furent vite détrempés. Il réussit à l’agripper, voulut la balancer dans un secteur un peu plus profond, mais en fut incapable. Elle était beaucoup plus forte et rapide qu’on aurait pu le penser, et c’est lui qui se retrouva étendu de tout son long dans la flotte. Sans fanfaronner pour savourer sa victoire, elle plongea sur lui.
Ils étaient enlacés peau contre peau dans une eau à moins de cinq degré, ce qui refroidit rapidement l’aspect potentiellement aphrodisiaque de ce corps à corps.
C’est en la regardant sortir qu’il se rendit compte que celle qu’il avait eue dans ses bras était aussi sexy. Le froid avait joué son rôle anesthésiant, et nul regret ne faisait palpiter son caleçon. Malgré la chaleur, ses lèvres fines étaient violacées et il grelottait comme un moineau dans la bise du matin. Une seconde plus tard, Isabelle, toujours aussi torse-nu, se serrait contre lui et lui frictionnait le dos. Ses cheveux blonds chatouillaient son visage, il reconnut sans peine cette odeur que l’eau n’avait pas effacée, celle de l’oreiller.
Là-aussi le temps manqua pour que le mercure monte en flèche, et ils reconnurent sans hésiter la douce voix de Galzen qui les invitait à venir se restaurer.
- Un petit dhal ?
- On parie quoi ?
- Ce que tu veux…
Kishor, le second du guide, avait préparé le déjeuner, Bikash et Sandesh avaient mis la table sur une sorte de terrasse qui surplombait le cours d’eau. Aucun d’eux ne parlait autre chose que le Tamang, et leurs échanges se limiteraient au regard, en essayant de pénétrer des yeux plissés par des années de montagnes sans lunettes.
Gilbert put rapidement constater qu’il avait gagné son pari, et il se dit qu’il aurait bien assez de temps pendant leur marche pour réfléchir au gage qu’il pourrait exiger. Encore que, parfois, nier l’évidence n’était pas si facile.
- Remember me our next step ?
- Lama Hotel.
- Is it far away ?
- Three miles.
- A ne pas confondre avec le mile marin.
- En gros ça fait cinq bornes.
- We start in thirty minutes
Ils se posèrent à l’ombre, à quelques mètres de là, sur ce qui avait un jour dû être de l’herbe. La tête bien calée sur leurs sacs à dos, ils s’allongèrent côte à côte. Isabelle se recroquevillât et vint poser son visage au creux de son épaule. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, elle dormait comme un bébé. Au lieu de se laisser aller et profiter pleinement de cet instant de pause, et de ce que l’avenir proche pouvait lui réserver de délicieux, Gilbert se mit à essayer de deviner ce qu’elle avait dans le crâne.
Que voulait-elle ?
Pensait-elle à Clément ?
Evidemment, Esther ne tarda pas trop à s’inviter au bal.
Au frais après une bouffe sympa dans un lieu qui ne l’était pas moins, il était allongé collé à une nana vraiment bien et qu’il avait vue à moitié nue. Et s’il n’y avait pas d’arnaque majeure, l’autre moitié devait être aussi merveilleuse que la première. Et lui, comme un âne, au lieu de se laisser aller, il repensait à ce papillon dont il avait un jour de mai, croisé le vol saccadé.
Et contrairement à certaines idées reçues, il y avait bien des ânes au Népal. Ils en croiseraient bien un autre sur le chemin du pic Yala.