Malgré tous ces perturbateurs endocriniens, nous sommes encore assez nombreux à avoir connu le handball de cour d’école.
Matin, midi et après-midi, hiver comme été, quand les CM2 et les CM1 y jouaient, que les plus petits n'avaient le droit que de regarder, jusqu’à ce que cette maudite cloche sonne la fin de la récré. Le glas, pour des écoliers moyennement joyeux à l’idée de retrouver porte-plumes et encriers.
En ces temps qui finiront par devenir immémoriaux, on demandait au petit gars rapide et malin de faire « la mouche ». Un défenseur avancé dans une pseudo défense 1/5, qui perturbait l’attaque adverse mais surtout qui se retrouvait idéalement placé pour marquer des buts en contre-attaque. Et qui finissait pivot en attaque.
Du coup, on avait ce profil de joueur au plus haut niveau et même en équipe de France. Rapide, malin, habile et apte à se démarquer dans les petits espaces. On peut classer Alain Nicaise, Dominique Deschamps, Philippe Gardent, Gaël Monthurel, Veronique Pecqueux-Rolland, Laurent Puisségur et tant d’autres, dans une lignée dont Bertrand Gille serait l’héritier. Un héritier capable de soulever plus de 150 kg au développé-couché et de cavaler un 400m en moins de 50 secondes !
On ne parle pas vraiment de gringalets, mais à la fin des années 90, une nouvelle « race » de pivots a pointé le bout de son nez, depuis l’arrivée du menhir, Guéric Kervadec. Plus grands, souvent des double-mètres, et plus lourds, dépassant allègrement le quintal. Des joueurs de position, plus aptes à marquer leur territoire, sans être pour autant maladroits.
Mais le XXe siècle est révolu, et mis à part les riches et les pauvres qui le sont de plus en plus, le monde n’est plus aussi bipolaire qu’avant. Le Ying et le Yang, la gauche et la droite, les petits nerveux ou les grands costauds, les choses ne sont plus aussi manichéennes.
Cédric Sorhaindo nous régale depuis des années maintenant, en étant un joueur complet par excellence. Défenseur très solide, et à la fois pivot de mouvement et de position, vertical et horizontal, tank et acrobate. Son éclosion chez les bleus semblait inéluctable, mais s’est accélérée suite à une blessure de Bertrand Gille.
Un scénario qui préfigure étrangement celui du dernier Mondial. Malgré juste une vingtaine de printemps, on savait depuis un moment déjà que le destin de Ludovic Fabregas serait doré. Le forfait de Luka Karabatic va là-aussi accélérer la musique, à tel point qu’on se demande presque si Rodrigue ne parlait pas de lui quand il disait : « Je suis jeune il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. »
Il est inutile de revenir sur les stats ou les tonnes de commentaires tout aussi élogieux que mérités, qu’on a pu lire ses derniers temps. Même si, comme tout le monde, il peut encore progresser, et qu’on ne peut jamais prédire l’avenir avec trop de certitude, l’arsenal des capacités de ce jeune homme est tout simplement impressionnant. Une machine de guerre qui à ce poste, aurait à lui seul toutes les qualités de ses glorieux ainés, tous ces illustres pivots précédemment cités. Lui chercher, et surtout lui trouver un défaut, est un exercice tellement périlleux que je ne m’y risquerais pas. Peut-être tailler un peu ses rouflaquettes, et encore…
Je ne fais pas partie des 540 000 spectateurs ayant eu le privilège d’assister à un match du Mondial. De ce que j’ai pu en voir à la télé, les performances de Ludovic Fabregas étaient plus que convaincantes, mélange de puissance et de dextérité, avec une maîtrise du corps dans l’espace parfois proche de l’acrobatie.
Mais j’ai assisté à la victoire de Montpellier en huitième de finale de la Coupe de France sur le PSG. En live, l’impression qui se dégage de lui est encore plus impressionnante. Comme si, dans la cour de l'école primaire, un CM2 avait trois ans de retard. A tel point que sur une action où Nikola Karabatic s’est retrouvé dans ses bras, le parisien paraissait presque fluet !
Imaginez-vous ayant à bâtir une équipe à partir d’une page aussi blanche que votre portefeuille est rempli. Fabregas ne serait-il pas un des deux ou trois premiers noms que vous coucheriez sur le papier ?
Et d'ailleurs, c'est ce que le Barça a fait!
Le serval, cinquante ans après la mouche.