Petite scénette dans un établissement scolaire comme un autre, d’une ville de banlieue comme une autre.
- Bonjour Monsieur.
- Salut A., ça va ?
- Oui.
- T’as passé de bonnes vacances ?
- Deux mois au bled !
- Plutôt cool non ?
- Vous rigolez, quand je suis rentré j’ai embrassé le sol. C’est là où j’me dis que je suis heureux d’être français.
Selon que vous serez puissant ou misérable…, merci Jeannot du coup de main, vous pourrez ne voir dans ce bref échange qu’une explication bancale à tous nos maux, du chômage au trou de la sécu. Il y a vingt ans, 15% de nos compatriotes pensaient trouver en Jean-Marie une solution aux vols d’autoradios ou aux odeurs de mafé dans la cage d’escalier.
Mais ça, c’était au XXe siècle. Marine aujourd’hui, et Marion demain, nous expliquent qu’un repli identitaire, autour des vraies valeurs de la Nation, est la seule voie possible contre la décadence de l’Occident. Les marines auront beau avoir deux fois plus d’électeurs que le patriarche en eut jadis, c’est bien 100% des français qui ne comprennent plus trop ce qui se passe.
Le XXIe ne pouvait pas plus mal débuter qu’il ne l’a fait, par une voltige aérienne qui a émasculé le monde occidental. Un symbole absolu, dont on aurait pu penser qu’il allait liguer la raison contre le côté obscur Pas plus éradiqué que le moustique tigre ou la grippe aviaire, c’est exactement le contraire qui nous arrive en pleine courge, et les vocations djihadistes se multiplient comme les petits pains d’un célèbre barbu.
Alain, Arnaud…, vous aurez certainement compris que le bled d’A. se situait bien plus au sud que la plus australe de nos villes. Pour y avoir assisté, je crois pouvoir dire que sa dernière réplique était très positive, sans arrière-pensée invasive. Emouvante car porteuse d’espoir, en ces temps agités. Et bien vous me croirez ou pas, le même jour, après un déjeuner frugal dont j’ai le secret, il m’a été donné de vivre une deuxième scène, dans une salle des profs aussi joyeuse qu’une cimenterie du Val de Seine.
- Alors ça va avec les 4e B ?
- Oui, si ce n’est A.
- Que s’est-il passé ?
- Il n’avait pas ses affaires, et n’a pas voulu travailler ! Je sens qu’il va nous casser les pieds toute l’année.
- N’hésite pas à me faire un rapport.
- Oui, t’inquiète, je l’ai déjà collé.
- De toutes façons, ça m’étonnerait qu’il finisse l’année avec nous…
Chronique d’un conseil de discipline annoncé…
On pourrait deviser des heures entières sur les capacités étonnantes de la grande maison éducative à résoudre les problèmes auxquels elle se trouve confrontée. A se demander si la Grande Muette est vraiment celle qu’on croit. La tête dans le sable est à ce qu’on dit la réponse classique de l’autruche devant le danger. Je n’ai encore jamais vu ce grand oiseau le faire, mais il faut dire que ma vie aventureuse m’a plus mené dans les champs de betterave de la morne Brie que dans les steppes arides de l’île continent. Si le dealer, le conducteur aux semelles de plomb, le contribuable fantaisiste, le djihadiste, et tant d’autres se voient offrir des séjours à l’ombre, l’élève qui se rend coupable d’une faute grave est lui déplacé dans une autre cour d’école. Souvent bitumée, ce qui rend dangereux toute tentative d’y enfouir sa tête. Jusqu’aux profs que l’on mute parfois pour préserver l’établissement dans lequel ils sévissent.
Miraculeux.
Vous devriez venir à la chorale ou au club philatélie du Collège Sévigné, voir s’épanouir celui qui au Collège Victor Hugo délestait ses camarades de sixième d’un téléphone portable beaucoup trop perfectionné pour eux. Ou vérifier avec satisfaction que l’attirance excessive d’untel pour la jeunesse s’est fort heureusement dissipée devant les grilles de son nouveau bahut. Comme le nuage de Tchernobyl au-dessus de la ligne Maginot, la victoire posthume du vieux André, Dédé pour ses potes de comptoir. Après tout, c’est peut-être la seule chose qu’une institution, fut-elle vénérable, puisse faire. Mais ce qui me semble plus gênant n’est pas ce modus vivendi, mais bien cet accord tacite entre des enseignants qui ne savent plus s’ils doivent enseigner ou éduquer. Leur vocation, l’image qu’ils ont de leur métier est certainement celle d’une belle et noble transmission de connaissance. Pour que ça fonctionne, celui qui doit ingérer tout ça se doit de passer de marmot, qui hier encore jouait à poules-renards-vipères à la récré, à élève, qui doit faire sienne cette volonté farouche de se cultiver d’une certaine manière. Un modèle unique, figé et certainement anachronique.
Une sclérose.
Sans plaque.
En vingt ans, les profs sont passés d’un extrême à l’autre. Un balancier qui les a fait passer d’une bienveillance parfois larmoyante, à un repli quasi identitaire. Le fait que son père boive et sa mère fasse le trottoir, plus courant que le contraire, qu’il fasse ses devoirs dans une chambre avec ses cinq frères et sœurs, n’arrache même plus la moindre larme à personne en conseil de classe. Généraliser ses efforts à toutes les matières permettra sans doute à celui qui le fait de vivre heureux, en famille, dans un petit pavillon dont il sera définitivement propriétaire juste avant d’entamer sa première chimio. Et encore, à la seule condition d’avoir le bon gout de préférer Melun à Nogent sur marne.
Et ce qui est incroyable là-dedans, c’est que ceux qui aujourd’hui distillent des conseils aussi judicieux étaient les mêmes qui jadis balançaient des pavetons sur les joyeux drilles des compagnies républicaines de sécurité. Les matraqués maoïstes d’hier sont ceux qui maintenant ne supportent un élève que si il est issu de la filière ovine. Un futur citoyen qui, non content de remplir son caddy chaque semaine à Carrefour, sera cet électeur que mérite une si grande démocratie.
Ma volonté n’est pas de relancer une LCR qui à l’image d’Alain Krivine s’essouffle un petit peu, mais je sens monter dans cette profession une collusion qui me parait dangereuse Quand tout ce qui n’est pas comme vous, ou ne correspond pas à un modèle idéal est systématiquement dénoncé et combattu, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai personnellement tendance à trouver que ça ne sent pas très bon.
Du tout.
Il ne s’agit pas de dispenser A. de respecter les mêmes règles que les autres, ou de se dire que le mieux pour lui serait de ne rien foutre et de passer son temps à se marrer, matin, midi et soir. C’est un gars sympa, marrant et respectueux. Contrairement à d’autres, il ne passe pas son temps à clamer son innocence, même la main dans le pot de confiture. Mais il ne supporte pas l’injustice, la vraie. Et en général, il ne se laisse pas faire. Une proie facile pour qui ferait le nécessaire pour lui faire péter les plombs, et s’offusquer d’une réaction qui serait irrespectueuse de l’autorité. Une sorte de provocation.
Mais le conditionnel est là pour rassurer tout le monde. On n’imagine pas le moindre de ses profs avoir pour autre but que de le mettre au travail. Et de l’aider à devenir plus tard un citoyen cultivé qui immanquablement trouvera un taf dans lequel il s’épanouira.