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MADAME MARGUERITE


« Les enfants vous allez tous mourir un jour, tous, sans exception. Madame Marguerite va l’écrire au tableau. Chaque élève devra me décrire son propre enterrement, avec ses petits mots à lui, ses petites images. » Une version personnelle de « Prenez une feuille. Racontez vos vacances. » A voir ou à revoir absolument, Annie Girardot donne un cours aux résonnances tellement symboliques et universelles. Elle nous parle, à nous. De la vie, de la mort et de l’amour. La vitesse est grisante pour la jeunesse. Il ne l’était plus tant que ça, ou alors d’esprit. Quant à être sain de corps, c’était une autre affaire, même si la nature n’avait jusque-là pas été trop cruelle. Sa vision du deux roues n’était pas celle de la sensation forte à tout prix, ni d’une philosophie parfois communautariste chez certains. Non, depuis trois décennies il arpentait le pavé de sa région parisienne avec le sentiment parfois agréable d’être plus libre que ses camarades à quatre roues. Ne pas galérer trois heures dans les bouchons ou se mettre les nerfs en pelote pour trouver une place, c’était un vrai privilège. Fendre la bise. Les matins ensoleillés. Les nuits tièdes. Plus passionnel que la voiture. Les bras de ses enfants qui l’enserrent. Se sentir être père. S’abandonner totalement à celui qui prend le manche, lui faire confiance, se laisser conduire. Et que dire du sentiment incroyablement fort qu’il ressentait quand sa nana se serrait contre lui, jusqu’à sentir son corps, ses mains autour de lui, un moment de pause, qu’il aurait souhaité éternel. Ça valait bien une petite saucée de temps en temps, de celles qui vous glacent jusqu’aux os, ou qui vous remémorent votre prime-jeunesse, quand vous inondiez vos couches Comme quand j’étais môme. Il roulait sur cette autoroute qu’il connaissait si bien. Les pensées se bousculaient sous son casque. Sa famille avait volé en éclats et il ne parvenait pas à recoller les morceaux. Il savait très bien qu’il devrait passer un jour à la caisse. Une femme avait croisé sa route, à moins que ça ne soit le contraire, ce bout de chemin qu’ils feraient ensemble. Cette joie de l’avoir, son regard profond, son petit corps si bon à croquer. Et pourtant, il avait parfois du mal à se laisser aller à cette joie innocente. Ce bonheur légitime auquel il aspirait. Le malheur de cette femme trahie. Il avait très vite, trop sans doute, mis un visage sur sa soif d’absolu. Une raison de vivre pour quelqu’un qui n’avait jamais poursuivi de but précis, se contentant de vivre dans un optimisme puéril, passant au travers des contraintes comme un rugbyman néozélandais dans la défense française. Comme l’agnostique qui se trouve une religion quand il se rend compte que la fin est inéluctable ? Pas sûr. Mais pourquoi pas. Il savait pertinemment que sa ferveur était excessive et qu’elle ne pouvait pas lui renvoyer certaines choses, pour autant il ressentait parfois comme injuste de ne pouvoir s’accrocher à cette femme et à leur amour, en particulier quand il en avait besoin. Alors qu’il aurait tout donné pour le contraire. Pas de colère ni de morosité mais le sentiment que cette situation ne pourrait pas durer trop longtemps. Et certains indices lui montraient qu’elle le devrait, voire qu’il ne pourrait jamais en être autrement. Pas toujours facile dans ces conditions de lui exprimer cette légèreté qu’elle chérissait plus que tout, destructeur de se laisser envahir par cet amour immense. Pas possible de faire autrement, il le savait et s’en était accommodé avec toute la philosophie dont il était capable. Avec toute la faiblesse de celui qui a peur de perdre. Ou la force de celui qui aime tellement fort. Pas toujours, la plupart du temps, avec des rancœurs qui s’invitent à la fête, sans y être conviées. Qui finissent par combler un vide à la place de cet amour. Imparable. Puissant. A force de l’arpenter il fallait bien qu’il le bouffe un jour. Le pavé. Sous lequel pourtant la plage n’est jamais très loin. Celui qui était au volant de sa Fiat le savait bien, pourquoi pas une Fuego tant qu’on y était, le coupé sportif de la Régie. Pas de clignotants, un angle mort, une vigilance moins aiguisée qu’à l’accoutumée. Un choc. Une glissade. Loin des pistes enneigées, celles de son enfance, celles de sa famille, celles qui cette année encore n’auraient pas les honneurs de leur visite. Les cimes, la blancheur, les bouquetins. Ces mains gelées qu’il faut réchauffer. Une piste rouge. L’autoroute A4 Moins glamour que la rue Pierre Charron. Moins de monde. Pas de braquage foiré, juste une vie qui ces derniers temps n’avait pas amené tout ce qu’il aurait pu en attendre. Et là elle avait réussi son coup. Quitte à crever, autant le faire italien, une certaine idée du raffinement. Des sirènes. Cet enfant qui détourne le regard, à l’arrière de cette voiture blanche. Une petite fille peut-être, une chance sur deux. Son père la rassure de sa voix grave et posée. Sa mère la prendra dans ses bras. Si tout va bien elle oubliera très vite ces yeux qui semblaient plus lui sourire que l’implorer. Une prairie alpestre. Il en avait plein les bottes de marcher, un kilomètre à pied, ça use ça use, deux kilomètres à pieds, …les gosses préfèrent le foot ou la piscine. Mais cette odeur de foin, d’herbes fraîchement coupées, ce décor de rêve, ces cimes et ces vallons resteront à jamais sa madeleine de Proust. Jamais réussi à lire Marcel au-delà de quelques pages, même après absorption de substances plus ou moins licites, mais tout le monde comprendra cette image. Les montagnes l’avaient toujours fasciné, et à l’âge où certains jouent aux légo ou à la poupée, il connaissait par cœur tous les plus hauts sommets du monde. Et chaque relief lui parlait. Qu’il puisse le grimper, le voir ou qu’il soit inaccessible, au détour d’un chemin, ou des pages d’un livre. Comme les mers, les lacs les rivières et les océans. Jacques-Yves, à ne pas confondre avec Jean-Yves, n’avait qu’un mot à dire et il partirait prendre place sur la Calypso. Comme tant d’autres choses encore. Qu’il verrait un jour, c’est sûr Cette silhouette lui semblait familière, surement celle d’une femme très mince. Elle riait mais ces rires ne lui réchauffaient pas le cœur. Il aurait bien aimé soutenir son regard vengeur et pouvoir lui en renvoyer un d’apaisé. Il aurait dû lui demander pardon. Un regard apaisant. Deux ombres la rejoignent, familières elles-aussi. Des rires. De ceux qu’un père doit offrir à ses enfants Essentiel. La main est un instrument extraordinaire. Une mécanique de précision invraisemblable. Le cerveau de l’homme a pu devenir ce qu’il est grâce à elle, saisissant, fabriquant, domestiquant… Elle est, avec le pied, l’élément le plus distal du corps humain. Le plus éloigné de ses fameux hémisphères. Elle en est l’émissaire. Son ambassadeur dans le vaste monde comme dans la culotte d‘une zouave. Difficile de se tenir par les pieds, malgré notre côté bonobo. Cette main était restée dans la sienne pendant des heures et des heures. Il n’aurait jamais voulu la lâcher. Cette mimine. Jamais. A la mesure de leur amour. Il ne pouvait se résigner à voir la vie autrement que comme ça. Main dans la main. Chaque seconde. Corps contre corps. Cœur contre cœur. Sans l’étouffer, sans la presser, au contraire. La sentir même quand ils n’étaient pas ensemble, ça lui suffisait. La lumière blanche, le bout du tunnel… Des conneries tant qu’on pense ne pas devoir les vivre. Si tout va bien. Il se moquait bien de savoir si on était dans le réel. Ou le rêve. Homme de paille, d’un domaine de pacotille, il se foutait sincèrement de ne pas voir de Rolex à ce poignet qui était le sien. Promis, il mettrait quelques photos dans son larfeuil. La sienne avait-elle droit de cité dans le leur, celui de ses filles, celui de cette femme ? Portail d’un jardin secret, souvent contre le cœur, ou dans un sac de dame. De la famille, des finances et des amours de chacun. Plus important que quelques gros biftons. Personne à prévenir, le directeur de la Banque de France n’est pas dispo. Prendre cette main. Sans attendre qu’elle ne le fasse. Ou pas.

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