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LE BON COIN


L’élève quelque peu agité que j’étais y a passé du temps. Au coin. Pas le bonnet d’âne ou les mains sur la tête, juste au coin, de la classe, debout, retourné et comme un con. A l’heure où l’on imagine une armée d’avocats tapie dans l’ombre des prétoires, prête à traquer le moindre dérapage verbal d’un prof pour laver l’honneur bafoué de son rejeton, un retour en arrière de quelques décennies peut paraitre surréaliste. Pas du hardcore, pas du fantasmé ou de l’exotique. Non, du vécu, rien que du vécu. La niche à chiens sous le bureau de l’instit, Le coup de règle en métal sur les doigts, La fessée déculottée dans la cour devant toute l’école, si je vous jure ! Le prof de maths qui enquille gitane sur gitane dans la classe. Et après on s’étonne qu’une armée de psychologues lorgne sur les dizaines de milliers de profs dont le moral se fragilise au fur et à mesure que leur arsenal éducatif se réduit au mot sur le carnet et à l’heure de colle. Sinon il y a aussi le petit coin. Celui-là, pas besoin d’être agité pour y passer du temps. N’ayez crainte vous n’aurez pas le droit à quelques lignes scato. D’abord vous êtes peut-être à table, la fourchette dans une main la tablette dans l’autre, et puis ça n’est pas le genre de la maison. Et puis à quoi pourrait bien servir l’évocation poétique d’un monde fait de grosses mouches bleutées, de virgules et de chasses-d’ eau taries ? Tout ça c’est des choses du passé, du XXe siècle. En tout cas pour nous, heureux habitants du vieux monde. Adjectif qui nous laisse à penser que l’Europe est une maison de retraite planétaire depuis plus de trois cents ans. De nos jours, le coin n’est plus petit, il est bon. Pas de fusée qui parte sur Mars comme un bus à Brie Comte Robert, pas de remède contre ce putain de désordre cellulaire, ni plus de robot qui bêcherait le jardin et ferait le ménage pendant que je sirote un cocktail sous mon érable japonais. Allongé alors, l’arbrisseau est à peine plus grand que mes nains de jardin. Tous les auteurs de science-fiction se sont plantés tellement ils sont restés cantonnés à de pauvres fantasmes intersidéraux ou scientifiques. Pas plus de Dark Vador que de petits hommes verts voulant asservir la terre à coup de rayon laser. Au pire quelques philanthropes qui égayent leur quotidien tristounet, tout ça parce qu’un mec n’a jamais résisté à la perspective de déflorer une jeune fille. Alors si on lui en promet 71 de plus ! « La guerre des mondes », « Le choc des mondes », «Le meilleur des mondes », « La valise en carton », ceux qui ont écrit ces chefs-d’œuvre dits d’anticipation ont singulièrement manqué d’imagination. L’homme du présent, qui en leurs temps était du futur, tape sur un petit objet plat pour trouver un tabouret tamtam ou une roue de secours galette, de taille 165R13 je précise. Et je serais malhonnête si je n’ajoutais pas qu’elle a 4 trous, soit 14 de moins que tout Golf qui se respecte. Mais ce n’est pas tout. Où pensez-vous pouvoir dégoter un appartement deux pièces 49 m2 plus une place de parking, une veste Levis 9 mois, une ventouse de chaudière gaz ou un short Vertbaudet ? Pas à la Samaritaine où des escrocs publicitaires, pléonasme grossier, osaient nous promettre qu’on y trouvait tout. Et comment mettre la main dans la culotte de sa voisine ? Non ça c’est juste pour calmer ceux que ma prose émoustille. Comment se procurer une 208 hdi 92 business pack ou une clé dynamométrique Facom ? A l’heure de l’hubérisation de l’économie, de blabla car et de airbnb, certaines mauvaises langues osent nous dire qu’on peut même trouver un job plus facilement sur le bon coin que sur pole-emploi.fr. Acheter ou vendre tout et n’importe quoi, trouver du taf, partir en vacances, le bon coin est une bénédiction dont le succès dépasse l’entendement, une sorte d’entrée dans la vie quotidienne de chacun. Avec son côté potentiellement addictif, une sorte de brocante absolue, permanente et sans limite. Pour ceux qui ne seraient pas encore calmés, imaginez une version libertine de ce site… Restons-en à l’imaginer. Mais ce n’est pas tout. Outre sur l’opulente poitrine, toujours de notre voisine, on a tous fantasmé un jour sur la vie du businessman international. Passage par sa chambre d’hôtel au 128e étage d’une tour de Singapour pour changer de costard. Rendez-vous au bar de ce palace, Du champagne, Pas du crément, Une femme, Si belle, Encore plus que votre voisine. Votre smartphone qui vibre au moment précis où cette créature va poser ses lèvres sur les vôtres, votre avocat vous appelle de New York pour conclure l’achat de cette chaine de grands magasins. Juste avant que vous ne décidiez de céder vos participations dans vos mines d’or sud-africaines. Allez, une dernière coupe pour arroser ça, juste avant de conclure ce que chacun pouvait pressentir, 128 étages plus haut, pas si loin du 7e ciel. Et là le réveil sonne, tandis que perle votre front. Un fantasme vous disais-je, qu’il est tout à fait possible de rendre accessible. Un triste après-midi d’hiver, vous vous apprêtez à rejoindre cette chambre louée à l’Etap Hotel de Pontault Combault. Bientôt, votre fameuse voisine viendra vous y rejoindre pour quelques galipettes pré-dinatoires. Et là, au moment qu’on imagine fatidique, votre portable sonne ! Votre femme ? Votre fils ? Votre mère ? Non c’est juste M Benard qui appelle pour tenter une négo de ouf. Baisser de 5 € la pompe balnéo Whirlpool que vous avez mise en vente sur le bon coin.

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