Quelle fierté ! Celle de pouvoir me ranger dans la grande tradition des persécutés fiscaux, d'Aznavour à Polnareff en passant par tous ces sportifs, ces acteurs... C'est pour moi un honneur que d'enfin faire une entrée, très discrète il est vrai, dans la cour des grands de ce pays. N'allons pas jusqu' à dire de ce monde. On pourrait discuter des heures de l'efficacité et de la justesse de notre beau système fiscal. Mais le principe qui veut que l'on paye des impôts sur les revenus de l'année précédente est parfois difficile à encaisser. Et à décaisser. Dans le sens croissant, celui par exemple d'une grosse rentrée d'argent, il équivaut à un prêt à taux zéro puisque le nouveau riche ne devra casser sa tirelire que l'année qui suit, sans se priver d’un plateau de fruits de mer tous les week-end à Deauville. Dans l'autre sens ça fait plus mal aux ratiches. Le chanteur qui après un tube ou deux se prend une suite à l'année au Ritz, le footballeur qui claque son oseille dans une marque de bolides italiens, beaucoup d'exemples sont restés célèbres. Vous comprenez Monsieur le Percepteur, je vais devoir annuler mes vacances d'hiver à l’île Maurice, tout ça pour payer mon dernier tiers. Pourquoi pas rouler en C4 Picasso tant que vous y êtes ! 0K d'accord, mais alors le HDI 200cv sièges en cuir. Un rapide calcul. La personne qui gagne 1 M d'€ dans l'année devra à la louche se délester de 500 000 balles l'année qui suit. A quelques niches près. Frein inadmissible à la possibilité de s'enrichir, prétexte évident à l'évasion fiscale, là n'est pas le débat. Il suffit de confier cette somme à son banquier avec pour seul objectif de ne pas faire comme Jérôme Kerviel : lui ressortir cette même somme un an plus tard afin de la transférer dans les caisses percées de l’État. C'est pas dur non ? Le lecteur perspicace aura compris plus vite que les autres qu'il restait 500 000 € à cette personne pour vivre un an. Le matheux ira lui jusqu'à calculer que ça fait un peu plus de 41 000 € et quelques broutilles par mois, de quoi vivre plus que chichement. Mon but n'est pas, loin de là, d'alimenter une haine des riches, mais de dire que si la tête n'enfle pas proportionnellement au portefeuille il reste possible de vivre en toute amitié avec le fisc. Si les révoltés de tous bords ont souvent une tendance fâcheuse à se faire matraquer par les psychologues chevelus des Compagnies Républicaines de Sécurité, les classes moyennes, elles, se font souvent délester par le fisc. De la matraque pour tous, pas de jaloux. L’année 2013 fut merveilleuse. Vous rendez-vous compte que pour la première fois de ma vie mon revenu fiscal de référence a dépassé les 50 K€ ! A 50 ans ce n'est pas la Rolex mais presque. 2014 l’a été beaucoup moins à plus d'un titre. Il n’y a pas eu de miracle, pas de mercato télé me permettant d’encaisser de grosses liasses issues de quelque monarchie pétrolifère. Mon RFR, à ne pas confondre avec le RER, a pris une claque d’environ 40 %, je vous laisse faire le calcul. Et là le mécanisme fiscal implacable est le même. Saupoudré de quelques détails qu'il est inutile d'aborder, ça a donné un impôt sur le revenu qui a augmenté de 110 %. Ça s’appelle sauter une tranche, j’aurais préféré qu’elle soit de jambon, au moins j’aurais pu la manger. Si on ajoute un crédit immobilier, une pension alimentaire elle- même déjà calculée sur la base de revenus devenus fantasmatiques, on imagine à quel point la rentrée fiscale 2015 a pu être conviviale. Pas de pneus neufs sur ma puissante berline allemande, même si c’est un pléonasme. Pas de vacances de Toussaint au soleil de Marrakech. Que de sacrifices, je vous laisse imaginer. A ce propos, je déconseille à tous les cardiaques ou dépressifs, et encore plus à ceux qui ont la chance de cumuler les deux, l’application Société Générale, la banque du petit Jérôme. Elle se présente comme un compteur de bagnole, avec une zone rouge à gauche. Autant dire que durant cette période mon aiguille est restée engluée dans le rouge vif. Déprimant. Comme si vous aviez en permanence un compteur qui affichait votre poids, ou le nombre de neurones qu’il vous reste. Heureusement, dans ces cas- là, on peut compter sur la bienveillance de l’administration fiscale, même si on n’est pas chanteur, tennisman ou les deux. Et sur l’humanisme et le sens de la mesure de celle qui gentiment vous accueille de l’autre côté du guichet… Etre délesté d’une somme supérieure à celle que vous tirez mensuellement de votre dur labeur est une chose, mais si vous ne vous entendez pas dire que vous ne comprenez rien et que c’est de votre faute, ce n’est pas drôle. Et là, j’ai beaucoup ri. De quoi rentrer chez soi manger son assiette de pâtes en aimant son pays. Je suis con j’aurais dû partir me changer les idées en Asie ou en Amérique du sud. Ou à Melun, au camping. Au bord de la Seine.