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LE VOYAGEUR IMMOBILE


Surtout ne pas se planter. Tous les aéroports du monde sont des pièges plus ou moins kafkaïens pour automobilistes. Madrid Barajas est un cauchemar absolu, des routes souterraines, aériennes, hélicoïdales, le fils maudit du carrefour Pompadour et du pont de Nogent, avec des péages en plus. Monstrueux, inimaginable. On peut ne pas classer Charles de Gaulle, CdG pour les intimes, dans la catégorie des gros tortionnaires ; il faut juste rester vigilant pour ne pas se retrouver comme par magie sur la francilienne en direction de la Seine et Marne profonde, alors qu’on voulait se diriger vers notre bonne vieille civilisation occidentale, celle qu’on nous envie de moins en moins.

Six mois plus tôt il était tombé dans le panneau. Ces stries blanches qui déchirent le ciel avant de s’évaporer, il s’était imaginé en voir une, cap vers l’orient, dessiner un demi-cercle parfait et revenir vers CdG. C’est sûr, son téléphone allait vibrer dans quelques minutes. Plus difficile qu’un demi-tour frein à main sur le parking du Buffalo grill, il risquait même de l’attendre quelques années durant un séjour moins exotique à Fleury Mérogis. Et puis comment pouvait-elle s’y prendre pour détourner un avion ? Séduire le pilote, le menotter, étrangler son copilote avec ses bas, … Aucun rond dans ce ciel de novembre, des centaines de passagers la tête déjà là-bas, très loin. Comme si un gros chat les berçait déjà de son ronron sécurisant après le puissant vacarme du décollage. Combien avaient leurs pensées encore derrières eux, comme ancrées sur ceux qui restaient ? Pas pour le vrai voyageur dont tout l’être se tourne vers un seul but, ne faire plus qu’un avec sa destination. Une union exclusive, sans nuage possible, où nul ne peut discerner lequel est dans l’autre, presque hermaphrodite.

Soumission, un mot lourd de signification. La pire chose qui puisse arriver dans sa vie. Résignation serait peut-être plus juste. Plus supportable aussi. Et pourtant qui peut dire qu’il ne se soumet pas à ses angoisses ou ses fantômes ? Ca n’était pas son registre et pourtant sa vie avait inéluctablement basculé. Subir une chienne de vie pendant de trop longues années avait sapé une partie de son énergie et anesthésié ses rêves d’enfant. Classique sans basculer dans Germinal, il avait glissé petit à petit dans ce qui le dégoûtait presque, incapable de quitter une femme qu’il n’aimait pas. Il avait brisé ses chaînes sans aucun courage et surtout en faisant beaucoup de mal à celle qui avait tout misé sur lui. Un peu comme un pacte avec le diable, un peu glauque mais salutaire. La liberté à crédit, en sachant qu’il devrait payer la note un jour. Il le savait, on verrait plus tard…

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