Que ce soit siècle ou arrondissement, vous n’y êtes pas les amis Très récemment je taquinais la petite balle jaune dans ce sympathique petit club du Val de Marne dans lequel je sévis depuis quelques années Match de double sur le court d’à côté, à ne pas confondre avec la femme Fanny Ardent n’a sans doute jamais mis les pieds à Villiers sur Marne, juste à Créteil pour faire sa carte grise Des anciens, tribu dont je ferai bientôt partie si je persiste dans mon projet de ne pas mourir tout de suite, qui se délectent de ce sport dans lequel on courre à peine plus qu’à la pétanque Toujours impressionnant d’engagement physique, et souvent des dialogues très fleuris Cette activité tient autant du salon de thé que du pseudo-sport « Putain Roger c’est pas vrai, tu vas te bouger un peu » Roger ! Prononcé avec une gouaille banlieusarde, ça peut ne pas forcément faire rêver Un mètre soixante-dix, des biceps plein le ventre, un toucher de balle de maçon dont je tairais la nationalité, on est assez loin de son homonyme, qu’il faut prononcer Rodjeur, La vie nous embarque sur des chemins, qu’ils soient tracés ou pas, laissons les théologiens et les philosophes s’étriper Mes voisins d’enfance étaient tous musiciens, tandis que nous étions plus dans le sport Ça ne nous a jamais empêché d’en faire ensemble, ni quelques conneries d’ailleurs. Le rôle des parents, l’environnement et les traditions familiales sont autant d’aiguillons qui vous mettent sur une voie Celle de l’élégance, de la créativité et du raffinement est radicalement différente de celle de la moiteur torride des vestiaires, du muscle et des concours de bite. On aime bien ranger les gens dans une catégorie définie, l’intello, le sportif, le matheux, …Et pourtant, depuis toujours, certains ont su prouver que l’un n’empêchait pas systématiquement l’autre L’histoire du sport est jalonnée par certains génies qui l’ont marquée La liste serait aussi subjective que non-exhaustive En tout cas Roger, le suisse pas le villiérain, en fait partie Très haut, tout en haut Quand on voit ces bucherons, hommes ou femmes, et autres machines à martyriser la petite balle jaune, on se demande encore pourquoi un canadien n’a jamais gagné Roland Garros ! Notre Suisse l’a fait lui Certes une année où le suédois Robin Soderling avait réussi l’exploit de dompter le monstre terrien qu’est Nadal. Une belle épine en moins dans le pied de Roger, ou dans son revers trop souvent pilonné par le lift irréel de l’Espagnol Si le muscle, des critères biomécaniques et une certaine coordination sont des conditions nécessaires pour envoyer différents types de projectiles plus vite, plus fort et plus loin que la moyenne, il suffit de regarder notre helvète pour comprendre qu’il y a quelque chose de miraculeux Sa silhouette mesurée quoique racée est là pour nous rappeler, comme jadis ce bon prof de physique-chimie, que P = M x V, la puissance est le produit de la masse et de la vitesse. En gros, il est capable de balancer des mines de tous les côtés sans effort apparent, le tout basé sur des qualités exceptionnelles de vitesse, de souplesse et de coordination Difficile à expliquer, les mots ne suffisent pas à décrire la grâce qui se dégage de son jeu : équilibre, maintien, élégance et des poignets de héron qui ne tremblent jamais au moment d’impacter des frappes à plus de 200 à l’heure, 126 miles pour ceux qui parlent anglais Au-delà des chiffres qui pour le moment peuvent élever son palmarès à la plus haute marche de tous les temps, c’est surtout la magie qu’il dégage qui impressionne Simplicité et efficacité, une esthétique épurée à son maximum Un artiste, affranchi des contraintes corporelles et des lois de la pesanteur Tellement fluide Un corps qui s’efface, presque immatériel, devant la chorégraphie qu’il produit Pelé, Ray Sugar, Léonard ou Robinson, Nadia Comaneci, Jordan et quelques autres avaient cette dimension, à la frontière du sport et de l’art Des nerfs d’acier, des victoires marquantes, parfois des défaites qui le sont tout autant, en poussant la machine physiologique au maximum, mais toujours avec harmonie Il y a du Fred Astaire dans ces génies Je ne sais pas trop pourquoi j’ai toujours éprouvé autant d’émotions devant le tennis. Borg, Sampras, Navratilova m’en ont procuré des torrents, je ne compte pas les heures passées devant le petit écran, sans bière je précise C’est le seul sport qui peut faire de moi un supporter, au point je l’avoue, de haïr l’adversaire Des cris, des bonds, des points que je ne veux pas regarder… Des rebondissements incroyables, des drames Bjorn qui ne gagne jamais l’US Open Pete Rolland Garros Martina qui craque devant Chris Evert, poupée Barbie métronomique au service de moineau anorexique, vous aurez compris que mes idoles des courts devaient avoir un service de plomb Pas forcément trois pièces, les chiennes de garde devront patienter un peu avant de m’assaisonner De la tragédie, du western, c’est la même chose transposée chez les bouseux du Wyoming Curieux de voir que John Ford, le cinéaste pas le garagiste, n’ai jamais envisagé un tournage en Seine et Marne Règlement de compte à Fontenay Trésigny, La fièvre monte à Brie comte Robert, c’est vraiment dommage En gros, ce sport c’est comme les westerns ou les films de karatés Deux caïds, un gentil et un méchant qui se débarrassent plus ou moins facilement d’adversaires qui ne servent à rien avant de se retrouver en finale Un duel Seul à seul, à coup de balles et avec sa raquette pour pétoire Sauf que là, ce n’est pas toujours Bruce Lee ou Clint Eastwood qui gagne toujours à la fin Heureusement car ce ne sont pas tout à fait les mêmes balles L’adversaire, le méchant, est aussi important que le héro Le mal, l’envers du miroir, le yang Il est même sa raison d’exister, imaginez un match Sampras versus Maurice Pichon en finale de Wimbledon Que dire de la scène mythique du Colisée où Marcel Durand remplacerait Chuck Norris qui en a marre de se faire péter les cervicales par ce fourbe de Bruce Lee Et pourquoi le chinois brille-t-il plus dans les films d’arts martiaux que dans le porno ? Même si je m’égare un peu, la dramaturgie est un peu identique dans les films de cul Deux héros qui se tapent tout ce qui se présente, un plombier, une soubrette, … pendant tout le film avant la scène finale, qui là encore se finit toujours par une bonne cartouche Le sport, c’est pas du cinéma, le scénario n’est pas écrit d’avance La glorieuse incertitude, la fameuse Roger existe et ne s’est construit qu’au travers de ses duels avec Nadal et maintenant avec Djokovic, comme jadis Borg avec Mc Enroe, Navratilova avec Evert et Sampras avec Agassi Fascinant de penser que tout autre que moi pourrait inverser un ou plusieurs noms et faire entrer mes idoles dans la caste des méchants Que penser de quelqu’un qui serait à la fois fan de John, Chris et André, Dédé pour les intimes ? Pourquoi pas d’Ivan Lendl tant qu’on y est ! Ya vraiment des gens qui n’ont pas tout compris à la vie Vas-y Roger, montre leur que c’est toi le meilleur En tout cas c’est toi le plus beau à voir jouer Et vas décrocher la timbale, ton 18e titre Ce jour-là je me permettrai une petite entorse et j’en prendrai une bonne A ta santé