En cette rentrée littéraire il me faut briser une croyance qui pourtant est profondément ancrée dans l’inconscient populaire. Le régime crétois y a une cote très élevée pour qui veut se débarrasser de ses kilos superflus et faire tendre la durée de sa chère vie au-delà de deux chiffres. Retrouver une ligne décente grâce à une plâtrée de moussaka arrosée d’une bonbonne de retsina, puis un sirtaki bras dessus bras dessous avec de rudes bergers du Péloponnèse est un programme au combien plus attrayant que le régime hyper protéiné du docteur Ducon Mais quelle bande de naïfs vous faites ! Penser sculpter votre tablette de chocolat à coups de féta dégoulinant d’huile d’olive Et pourquoi ne pas tremper sa tartine dans un bol d’ouzo au ptit dèj tant que vous y êtes Vous avez vu Demis Roussos ? On ne peut pas dire que ça lui ait franchement réussi Descartes en son temps a fait ce qu’il fallait pour séparer notre corps de notre esprit. Noble tentative censée nous éloigner de notre animalité répugnante Et pourtant, qui peut se vanter d’avoir déjà vu un homme de Neandertal avec de l’embonpoint ? Celui-là même qui croque dans un cuissot de mammouth sanguinolent après avoir sauvagement défloré cette innocente chevrette venue se réfugier dans la caverne de cet hominidé même pas baptisé Après une olympiade d’excès spiritueux, il était temps de réagir, sous peine de devoir céder ma luxueuse garde-robe à ces braves compagnons d’Emmaüs Mais pas question pour un homme comme moi de tomber dans le panneau du régime à la mode, comme tant de sédentaires adipeux, bernés par ces magazines au papier plus glacé que le cœur d’un huissier de justice L’autre option aurait été d’endosser une peau de bête, me laisser pousser la barbe, les cheveux, heu surtout la barbe, et de me comporter comme un homme préhisto, avec rien sur le dos, jouer du tam tam tam tam tam Plus tentant que d’avaler des litres d’infusion d’artichaut, moins déréglant pour le transit mais pas toujours facile dans nos contrées civilisées, à moins d’émigrer dans les steppes arides et inhospitalières de Seine et Marne Animus sanus in corpore sano Au diable les cartésiens L’esprit tranquille et le foie moins chargé, une complice de périple et en voiture Simone, en route sur les pas des hommes de Lascaux, des millénaires après ce cochon de Neandertal qui pensait peut-être que quelques graffitis ridicules allaient excuser une vie plus proche du bonobo que de l’école flamande Mon propos n’est pas de de commettre un pamphlet contre la civilisation et ses raffinements, mais juste d’imaginer qu’une vie simple et joyeuse est le meilleur moyen de se sentir bien dans sa peau, préalable nécessaire à la chasse aux bourrelets. A nous les plaisirs dordognots Le soleil, les châteaux, les rivières, les longues marches, les coteaux boisés, les ceps, le foie gras poêlé Noir, vert ou blanc, le Périgord est une belle région, et pourtant j’en oublie un Sans être ni docteur ni vendeur de régime, je vous conseillerais, à chaque fois que vous sautez un repas, de faire de même avec celle qui partage votre canoë Des calories en moins, et le cœur aussi léger que vos balloches A moins que ça ne soit le contraire Sans parler des inévitables contraintes budgétaires, ça vous permet à tous les niveaux d’être moins regardant le soir, surtout si en plus vous vous abstenez de taper dans la gourde A ce propos le sevrage au produit qu’est l’alcool n’est pas si terrible que ça, en particulier si vous décidez de vous attaquer au problème avant d’avoir les mains qui tremblent au bout d’un soir d’abstinence Dommage, certains Bergerac semblaient me supplier d’au moins y tremper le bout de mes lèvres Pas trop dans mes codes, toute bouteille ouverte devant être inévitablement vidée Même pas mal, il suffit de se faire un ptit plaisir de substitution Une petite glace par exemple, ou alors refaire avec vos balloches ce que vous n’avez pas fait avec le flacon sus-cité, à condition qu’une bonne douche ne soit pas un préalable obligatoire à toute activité sexuelle Pour le gite, la philosophie est identique L’homo erectus du paléolithique n’avait pas l’immense privilège d’avoir un Décathlon près de chez lui. Pas de tente qui se monte toute seule, en trois secondes chrono Obligé de bouter quelques nounours hors de cavernes dont un migrant ne voudrait pas Petite parenthèse pour vous dire que si la tente se monte, presque, toute seule, elle se démonte beaucoup moins vite et facilement De la sueur et des engueulades plus tard, vous pourrez espérer la remballer en moins d’une minute, en particulier si vous avez votre DEA en pliage de canadienne, et à l’unique condition que votre compagne soit titulaire d’une chaire en camping plus ou moins sauvage à l’université de Melun, qui s’y connait en camping Que peut- il y avoir de si sauvage dans ce paisible loisir ? Rien d’autre que de devoir replier sa putain de tente, on est d’accord Toujours est-il qu’on peut là-aussi voir les choses comme pour le couvert Chaque nuit sous la toile ne vous déleste pas plus que de quelques kopecks, ce qui peut ouvrir le cordon de votre bourse à de possibles largesses budgétaires L’aventure est au coin de la rivière si elle n’est pas au bout du GR, avec en prime, une silhouette qui se reforme C’est bien beau tout ça, mais la vie n’est pas un film du commandant Cousteau, bonnet rouge quarante ans avant nos éleveurs bretons. Il était sec comme une crevette grise Jacques-Yves, et raide comme Giscard sur le point d’introduire Lady Di. Et personne pour l’obliger à rejoindre la capitale, juste quelques murènes qui ouvrent une bouche énorme dont aucun mot ne sort Pour nous, les gens normaux, c’est la rentrée La tête pleine de belles images et de projets à venir Des impôts qui s’annoncent moins castrateurs que l’année précédente Et un miroir qui confirme que cette brioche n’est peut-être plus une fatalité La vie et certains de ses aspects convenus reprend son cours et il serait sans doute gênant d’aller au taf avec des sandalettes en plastique sans prendre de douche pendant trois jours Pas question donc de troquer ma panoplie de professeur contre une peau de bête et une masse d’arme en corne de triceratops Juste un peu de jardinage naturiste tant que le climat et les paparazzis le voudront, ou alors ça sera quelques sudokus en boxer Rien qui ne défraie une chronique peu mondaine Ces vacances de rêve méritent mieux qu’une rentrée sans surprise, elles appellent une suite, ne peuvent s’évaporer dans les brumes maléfiques de la Brie, comme un gaz d’échappement sur la francilienne, un matin blême, entre Lésigny et Moissy Cramayel. Le pauvre habitant de cette morne plaine est sans doute plus enclin à cultiver la betterave qu’à instiller ne serait-ce qu’une dose de fantaisie dans sa triste vie A nos élites de montrer la voie Plutôt que de n’avoir de cesse que de paraître et de s’enrichir, nos élus, nos fringants chefs d’entreprises et hauts fonctionnaires se rendraient assurément plus utiles en régalant leur entourage en bons mots ou autres excentricités Un préfet qui éructe un bon coup lors d’un repas d’anciens combattants, où de toute manière plus personne n’entend rien Un DG qui pisse dans le bac à fleurs de la salle de réunion, devant les yeux ébahis de sa secrétaire qui ne l’avait jamais vue ailleurs que dans sa bouche, et ceux médusés de collaborateurs qui savent qu’ils devront lui serrer la louche Comme le grand Jacques, Brel, pas Chirac, j’ai toujours éprouvé une tendresse limitée pour la bourgeoisie, fut-elle bellifontaine Dîner en ville, près du château Ces fiers cavaliers ont arpenté cette superbe forêt taquinant le chevreuil comme vous et moi le goujon, au son du cor et de cette meute, si conviviale pour qui ne porte ni cornes ni poils Assoiffés de sang quelques heures plus tôt, nos héros sylvestres vident maintenant quelques carafes de celui de la terre Comme un soir où on refait le match dans un vulgaire bar de la porte d’Auteuil Chacun commente ce qu’il a fait et le grammage aidant, chacune de ses actions devient aussi courageuse que décisive. On donne bien la légion d’honneur à des gars qui jouent à la baballe, alors pourquoi pas à des, chasseurs, à courre s’il vous plait ! Après une douzaine d’apéritifs plus ou moins anisés pour les braguettes, à fines bulles pour les dames, il devient salutaire d’éponger tout ça à coups de rosbif et de gratin dauphinois Et là, le feu d’artifice de la convenance peut commencer -Le Rajasthan est beaucoup trop humide en septembre, mes rhumatismes m’ont fait atrocement souffrir - Cet hiver, ça sera le Pérou Alors que beaucoup de Français sont assez vulgaires pour préférer le VVF de Saint-Jean de Monts. Pourquoi arpenter le vaste monde quand on peut se coltiner deux heures de bouchon au péage de Niort, la ville qui assure ? -Mes collaborateurs sont devenus impossibles, entre leurs enfants malades et leurs problèmes de couples… Et blablabla, je pourrais vous en coller des tartines, sur des pages Pas sûr qu’un lecteur ne nous quitte pas pour une petite bière bien fraiche, celle qui vous appelle du frigo Et à juste titre Quelle mièvrerie, imaginez-vous avoir l’immense privilège de vous retrouver au milieu de cette joyeuse tablée ! Que faire d’autre que de sévèrement taper dans la cruche ? Alors qu’on pourrait vraiment se marrer dans ces diners en ville -Mon mari s’est mis au badminton, alors j’en profite pour me taper mon prof de shiatsu tous les jeudi soir -Quelle salope ! -Tu peux parler, tu as des fourmis dans la chatte dès que tu baises pas pendant deux jours N’allez pas me taxer de misogynie, je pourrais sans effort transposer ce sémillant dialogue au masculin, au risque de tomber dans la gaudriole Se moquer ouvertement du tarin de sa patronne, faire un chat bite avec son député-maire, chatouiller les aisselles de ce joyeux guichetier de la CAF, parler littérature avec ce gendarme qui vous déleste avec bienveillance de quelques point et de quelques euros La vie, la nôtre comme celle des autres, n’a pour but que de s’arrêter un jour C’est la seule chose de sûre en ce bas monde Alors pourquoi pas se marrer un peu, le plus possible en tout cas