LES TEUBÉS

- Pour qu’un jour j’aie une chance d’avoir mon bac, il faudrait qu’on supprime les épreuves. Ou alors, qu’on tire au sort les noms des reçus, sinon …

- C’est vrai, le bac par tirage au sort, ça serait beaucoup plus équitable pour tout le monde. Fils d’ouvrier ou de bourgeois, même chance chance pour tout le monde au départ.

- Absolument, absolument. Et puis plus tard, la même chose. Tout le monde travaille et à la fin du mois, on tire le salaire au sort. Alors, pour le même boulot, un coup on gagne une brique, un coup on a le SMIG.  ¹ 

En 1980, Bébel et les « Sous-doués » de Claude Zidi passent le Bac. Près d’un demi siècle plus tard, place aux Teubés.

- Tu veux un enfant  ?

- A 19 ans.

- Wallah, c’est trop jeune.

- Wesh, ta mère t’a eu à quel âge ?

- 18 frérot.

Point commun entre ces deux saynètes, elles sont jouées entre les murs d’un lycée … Comme toujours, de fins analystes mettraient ça sur le compte de l’immigration, des réseaux sociaux et d’Emmanuel Macron. Mais les adultes dans tout ça ?

Les postiers sont champions du Monde toutes catégories !

Un jour que N. rentre chez lui après une épuisante journée de trois heures de travail, il a le bonheur de tomber sur le facteur, celui-là même qui le torture depuis de longues années en ne sonnant pas chez lui pour lui remettre ses recommandés. Après tout, faire la queue à la poste est un privilège qu’on ne peut même plus vivre à la Préfecture.

- Bonjour Monsieur.

- Bonjour, vous tombez bien ! Voici votre courrier.

- Merci, et ça c’est quoi, un avis de passage pour un colis ?

- Oui.

- Mais je suis là, vous pouvez me le remettre ?

- Impossible, le paquet est trop volumineux, il ne rentre pas dans votre boite aux lettres !

 En ce vendredi même pas 13, N. ne peut que se réjouir du comique de la situation. Mais pas seulement, il lit sur le petit papier jaune qu’il pourra retirer son bien à partir du lendemain 14h00. Le samedi, le bureau ferme à 13h00, il devra attendre lundi alors qu’il bosse toute la journée, que l’anniversaire de sa fille est dimanche et qu’il devra lui souhaiter sans cadeau.

Mais cette vénérable institution est aussi une banque, bien plus « citoyenne » que les autres, qui ne pensent qu’à faire du pognon. Heureux trésorier de l’association sportive de son lycée, D. a pu tester la bienveillance de cet établissement. Un rendez-vous, des mails et de longues dizaines de minutes au téléphone, changer les coordonnées d’un compte chèque est une affaires trop sérieuse pour être réglée en quelques clics. Au bord du suicide, il finit après des semaines de torture par joindre la bonne personne, enfin disponible entre deux RTT.

- …( quelques minutes pour expliquer cette situation compliquée ).

- Ne vous inquiétez pas, on va tout reprendre à zéro.

- Ah merci… vous me sauvez la vie !

- Alors quel est le nom exact de l’Association ?

- Asso-cia-tion spor-tive du ly-cée po-ly-va-lent Gé-rard de Ner-val.

- Le nom du président svp ?

- Madame L.

- Ok, et M. de Nerval, c’est le trésorier ?

- !!!

- … Monsieur !

- C’est une blague ?

- Pardon ?

- Il faut le Bac pour être conseiller clientèle à la Poste ?

Professeure investie, S. organise une sortie pour une trentaine d’élèves. Outre les diverses autorisations de rigueur, elle fait la demande de 20 tickets de RER à sa gestionnaire, estimant à la louche le nombre d’élèves qui ont leur Pass Navigo.

- Vous n’oublierez pas de noter le nom de ceux qui en ont utilisé et de me rendre le reste ?

- Bien sûr Madame, bonne journée.

Le lendemain en salle des prof, elle remet le reliquat ( 18 ) à une collègue qui part en sortie le lendemain, cette écervelée ayant commis l’erreur inacceptable de ne pas faire de demande officielle de tickets. Une semaine plus tard, un mail de sa gestionnaire lui fait regretter ce geste malhonnête :

« Bonjour,

J’ai eu connaissance du transfert de 18 tickets de transport en provenance de Mme S. Les tickets ont une valeur et je me dois de justifier de leur utilisation.

Aussi, il n’est pas permis de transférer les tickets pris par un enseignant à un collègue pour une autre sortie.

Je n’ai pas à juger de la lourdeur administrative, je me dois juste de respecter les règles qui me sont imposées. Je compte sur vous pour me transmettre la liste des bénéficiaires éventuels ainsi que le solde des tickets restants.

Cordialement»  

Quel lyrisme ! S. comprends la gravité de sa faute et se dit que de tels « transferts » pourraient la conduire rejoindre de dangereux malfaiteurs dans la prison où croupira son ex président.

Heureusement pour notre beau pays, l’École sait se faire humaniste, bien plus qu’une froide administration Nord-Coréenne. C’est la mort dans l’âme, après 8 années d’une direction remarquable pour sa bienveillance, qu’une cheffe d’établissement a été mutée dans une ville cossue du Sud de la France. D’où ces lignes déchirantes :

" Chers collègues,

en cette veille de rentrée (et oui, même dans le sud, ce sont des choses qui arrivent!), j'ai bien sûr une pensée pour le lycée SV et chacun d'entre vous.

Cet été, au calme de la Corse, j'ai eu des flashs de ma vie à N. et il y en avait tant d'heureux… je mentirais si je disais que quelques larmes n'ont pas roulées sur mes joues.

Merci pour ces belles années, merci pour les combats que nous avons menés, merci pour les rêves que nous avons faits ensemble et la réalité que nous avons affrontée, merci pour les élèves, merci pour votre soutien et vos attentions.

Aujourd'hui, j'ai de nouveaux collègues, fort sympathiques, il fait très beau, j'ai l'air d'occuper un poste important dans les yeux des gens que je rencontre, j'ai une maison de rêve dans le centre ville d'A., mais rien n'effacera jamais les années passées à N. Je vous ai emportés avec moi et je ne suis pas prête à vous oublier.

Je vous souhaite le meilleur pour votre vie professionnelle comme personnelle.

Très cordialement".

Trublion pas forcément en odeur de sainteté, C. lui a répondu :

"Chers collègues,

en cette veille de rentrée (et oui, même dans le 9.3, ce sont des choses qui arrivent!), j'ai bien sûr une pensée pour le lycée SV et chacun d'entre vous.

La semaine dernière, au camping de Melun, j'ai revu tant de choses au fond de mon verre. Je mentirais si je disais que quelques larmes n'ont pas noyées mon pastis.

Merci pour tout, pour tous ces combats, ces luttes où le mot ensemble avait un sens. We had a dream, un monde meilleur duquel toute hypocrisie serait bannie.

Aujourd'hui, j'ai de nouveaux collaborateurs fort sympathiques. Même s'il fait un temps pourri à Clichy-sous-Bois, il me semble voir dans leurs yeux que j'occupe un poste important à la tête de la SEGPA du collège Robert Doisneau. Et puis le LIDL est à moins de trois minutes en trottinette. J'ai trouvé un F3 de presque 60 m2 au Chêne Pointu, et je viens de me dégoter une belle Twingo 2 sur le Bon Coin. Malgré tant de luxe, je ne vous oublierai jamais.

Bonne rentrée à tous".

Aux dernières nouvelles, il paraît que cette brillante proviseure pilote avec brio l’ambitieux projet d’installer des toilettes non genrées dans sons son nouveau bahut.

« Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement volontaire et ne pourrait être que le fruit d’une pure malchance ». De là à dire que N., S. et C. ne seraient qu'une seule et même personne…